Tu sais, mon amour, j'ai perdu l'habitude de la beauté dans la vie, dit Arseni à Oustina. Et elle apparaît si soudainement à la traversée de la rivière que je reste sans voix. D'une rive, c'est moi qu'on voit plein d'ulcères et de poux, et de l'autre rive on voit une telle beauté. Et je suis heureux de souligner cette grandeur par ma misère, c'est un peu comme si je participais à sa création.
Quand le soir tomba, Arseni se promena près de la rivière. Il arriva enfin à un rempart. Il le longea et remarqua une brèche étroite. L'obscurité y était plus profonde qu'à l'extérieur. A tâtons, Arseni entra. Quelques lampes à huile brûlaient devant lui. Dans leur faible lumière on devinait les contours de plusieurs croix. C'était un cimetière. Quel endroit magnifique, pensa Arseni. On ne peut rêver mieux. C'est juste ce qu'il me faut en ce moment. Il prit une lampe et mit ses mains au-dessus. La chaleur se répandit dans tout son corps. Arseni mit son sac sous sa tête et s'endormit.