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Citation de Cielvariable


Je n’avais pas encore seize ans. Je devais les fêter le mois suivant et ça comptait beaucoup à mes yeux. Ce n’était pas encore la majorité, mais quand même. Tenez, par exemple, dans tous les contes, les princesses ont seize ans. Et dans nos têtes, ces princesses ont et auront éternellement seize ans. C’est l’âge où l’amour éternel peut nous tomber dessus. C’est l’âge où on est la plus jolie. D’ailleurs, si vous regardez bien, la plupart des top-modèles en vogue ont cet âge-là. Au-delà, elles sont déjà considérées comme vieilles. C’est à seize ans qu’on fait rêver. Pour les garçons, c’est pareil. Aujourd’hui, un garçon charmant est un garçon androgyne. Pas trop musclé, fin, le visage doux d’un ange. Gracieux. Lisse. Juvénile.

Et puis franchement, les adultes autour de moi ne me montraient rien qui me fasse spécialement envie. Il me suffisait de regarder madame Bagnolet, la prof de sciences physiques.

3 mars. Je me souviens bien de ce jour-là. Dans la classe, on n’entendait que le tapotement sinistre de nos doigts sur les claviers. L’ennui suintait de chacun de nous, mais plus encore de madame Bagnolet, qui commentait d’une voix monocorde et sans illusions le document qu’elle venait de nous envoyer. Il était projeté aussi devant nous sur le tableau blanc où elle promenait lentement son stylo-laser. Elle répétait tout ça pour la cinq cent millionième fois de sa carrière, consciente du bruit de fond morne qu’elle nous imposait. Ce jour-là, j’avais essayé d’imaginer ce qu’était sa vie. Avec ses rides, ses fesses tombantes, ses cheveux grisonnants, son quotidien était forcément sans fête, sans joie, sans surprise. Je ne pouvais pas imaginer les choses autrement. Non, je ne pouvais pas, parce que rien ni personne ne me prouvait le contraire.

On se regardait par moments, avec Zoé qui était assise un peu plus loin à droite, juste à côté de cette grande bringue de Tom au visage constellé de boutons. On est d’accord : l’âge de seize ans convient mieux à certains qu’à d’autres. Mais Zoé l’aimait bien et parfois elle décidait de s’asseoir à ses côtés pour lui balancer des sourires qui devaient sans doute le faire fantasmer comme un malade le soir. Elle était comme ça, Zoé, elle s’en fichait de traîner avec des mecs complètement out. Elle s’en fichait de ce qu’on pensait d’elle, et je l’admirais vraiment pour cette raison. D’ailleurs, pour bien le montrer, elle avait un look invraisemblable. Un look d’enfer ! Elle s’était teint les cheveux en rouge, qu’elle portait mi-longs, ce jour-là réunis en une dizaine de petites queues-de-cheval. Sa coiffure était ce qu’on voyait en premier chez elle, juste avant son maquillage : trait épais d’eye-liner noir et fond de teint très pâle. Une robe en laine orange tombant jusqu’à ses pieds moulait son corps très joliment, je trouvais. Une dizaine de colliers et de bracelets clinquants brillaient sur sa poitrine et ses poignets. Elle ôtait les bracelets en cours pour que ça ne fasse pas trop de bruit, et ils dormaient à côté de sa trousse comme une promesse de vie, de joie et de bruit en dehors du bahut. Pour finir, d’énormes chaussures montantes semblaient ancrer cet être surnaturel sur Terre.

Moi, j’avais l’air fade à côté d’elle. Mais jamais je n’aurais osé un look pareil. Je préférais qu’on ne me remarque pas.

Zoé se frotta la joue du dos de la main en soupirant, avant de me faire une grimace qui m’arracha un sourire. Heureusement qu’elle était là, ma super-copine. La trentaine d’autres élèves de la classe ne lui arrivaient pas à la cheville, même si quelques-uns d’entre eux étaient assez sympas. Puis, pour tromper mon ennui, comme j’étais assise à dessein à côté de la fenêtre, je laissai mon regard voguer au-dehors.

Ce fut ma toute première erreur de la journée.

Le froid avait depuis longtemps déshabillé les branches des arbres. Le vent les faisait danser nues, avec indécence et désinvolture. La Nature ne se plaignait jamais : je me souviens de cette pensée que j’eus à ce moment-là. Puis je promenai mon regard sur les murs blancs du gymnase, juste en face. Au-delà, des élèves couraient péniblement autour du stade. Ils devaient se geler tout en suant et je les plaignais avec paresse. Un couple se bécotait contre la porte des vestiaires. Ah ah ! Avec un peu de chance, ça pouvait être des élèves que je connaissais et j’aurais ainsi un scoop fabuleux dont on rirait pendant des heures avec Zoé. Enfin un peu de croustillant dans ce monde en caramel mou… J’attendis patiemment qu’ils se dégagent l’un de l’autre. De vrais mollusques, ma parole ! Je reconnus assez vite la fille adossée à la porte de métal vert. Une seule nana dans tout le bahut possédait une aussi longue crinière blonde. C’était d’un ridicule totalement inconscient de sa part. Tout le monde la surnommait Barbie, dont elle était le sosie, singeant jusqu’à son sourire stupide. Ça n’empêchait pas les garçons de baver devant elle comme des bêtes. Il s’agissait donc de Mia, pom-pom girl de son état, pour parfaire le tableau. Un stéréotype à elle toute seule. J’étais très curieuse de savoir quel pouvait être cette fois l’idiot tombé dans son panneau orné de dentelles roses écœurantes. Un joueur de l’équipe de foot dont elle et son équipe à jupettes blanches hurlaient les mérites à chaque match en gigotant ? Ou bien de l’équipe de rugby ? Ou encore un athlète ? Mais celui-ci n’avait pas les épaules assez carrées. Ou alors un de ces beaux gosses qui arpentaient les couloirs du lycée, aussi minces que les mannequins des magazines ou les chanteurs à la mode, le cheveu fin, la mèche mouvante, profil grec et face douce ? Beaux, féminins, troublants mais sans danger.

Leur pelotage cessa enfin. Madame Bagnolet en était à :

– … élément chimique qui se conserve lors d’une réaction. Il existe un nombre limité d’éléments chim…
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