Florence Rousselet

Les entretiens avec Rajesh me bouleversaient. Cet enfant avait besoin d’une famille, et les services sociaux ne disposaient déjà pas de familles d’accueil disponibles pour des enfants français, encore moins pour des mineurs isolés étrangers. Dès la première semaine, je sus qu’il fallait que j’en parle à Antoine. J’étais persuadée que nous étions les seuls à pouvoir faire quelque chose pour lui, et que si nous restions indifférents à sa cause, nous aurions très certainement sa mort sur la conscience. Au cours de nos discussions, Rajesh répétait régulièrement qu’il serait mieux six pieds sous terre, plutôt que sur la surface de cette terre où chaque jour était un poids qu’il ne parvenait plus à soulever. Le taux de suicide chez les mineurs isolés était effroyable, et je n’avais pas trop de mal à le croire quand il parlait d’en finir.

Ma première réaction, une fois que ma vue se fut ajustée à ses contours, fut de me dire que je ne le reconnaissais pas. Chose étonnante d’attendre d’un être étranger qu’il soit connu. M’attendais-je à le voir plus petit ? Moins large d’épaules ? J’étais à la fois en extase et bouleversée par cette rencontre. Toute ma vie en était chamboulée, ma famille exposée au doute, le chemin tout à fait incertain.