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Depuis mon arrivée, il y a neuf jours, c’est la troisième fois que je me retrouve ici avec quelques jeunes, assis en cercle avec la thérapeute. D’ailleurs, pourquoi l’appeler ainsi. Elle veut seulement nous cataloguer, à défaut de nous aider. Elle travaille pour l’État, non pour nous. Ceci, je l’ai compris très rapidement, car selon les commentaires des détenus, elle nous délaisse sitôt l’étiquette apposée. Néanmoins, je lui laisse le bénéfice du doute. Inversement, j’ai peine à croire qu’elle puisse réellement avoir du temps à me consacrer. Nous sommes trop nombreux. Elle est seule. Seule et impuissante. Elle a sûrement besoin d’aide. 
Bien que, de toute façon, la dame est inutile. Pire encore, son soutien est déloyal. Fourbe. J’en ai tellement vu, des femmes, avec leurs belles paroles. Elles rassurent, donnent espoir, et quand c’est fait, elles nous balancent résolument au fond d’un autre gouffre, tel un déchet. Avec le sourire en prime. 
À cette idée, un arrière-goût envahit ma bouche, un désagréable fumet de perfidie me provoquant un serrement au creux de l’estomac. Refusant de me laisser envahir par ce sentiment, je m’efforce de m’intéresser à l’environnement. La décoration de la salle réservée à cette supposée thérapie de groupe contraste avec le reste de l'édifice épuisé. Les corridors délabrés, les cellules lugubres et la salle à manger désuète reflètent davantage le style de vauriens y étant incarcérés. À l’extérieur, le terrain grillagé, surplombé de barbelés, corrobore la triste réalité. Des criminels mineurs sont ici, en attente d’autre chose. Je suis enfermé dans un centre fermé. Enfermé, mais évadé de la vie. Enfin.
Mon fauteuil, décidément trop confortable, me rend mal à l’aise. Ou alors c’est son corps aguichant, constamment penché vers nous, qui me perturbe. Pourtant, son intention n’est certainement pas de nous enliser. Au contraire, sa mission est vraisemblablement de nous aider, de nous sauver. Entre ces quatre murs, elle doit nous purifier. Dans ce cachot où elle me croit emmuré, alors que je suis libéré, voire protégé. Son incompréhension est flagrante. C’est pitoyable.
Du reste, aucune femme n’a réussi à pénétrer mon esprit. Et celle-ci, euh... je m’interroge. Est-elle ici par obligation, afin de mériter salaire, ou alors elle est semblable aux hommes. Cajoler pour mieux s’approcher, s’approcher pour mieux toucher, toucher pour mieux violer, pour mieux tuer. Tuer l’intérieur. Tuer, en laissant la vie.
Si son dessein est différent, elle a sûrement envie d'être ailleurs. En ce cas, il est difficile de croire en elle. Difficile d’avoir foi en ses promesses de rémission et de sérénité. Naïvement, elle espère effacer les horreurs de mon existence et ainsi me permettre de renaître. Ou plutôt, de naître, enfin. Je ne peux le nier, ma tête comprend son souhait. Toutefois, mon corps - surtout mon cœur -, ne peut s'empêcher de voir en elle une traîtresse de la vie. Une manipulatrice. Certes, ses mots et ses gestes se veulent à l’image des actes réconfortants d'une mère. En dépit de cela, du haut de mes seize ans, je vois purement une femme qui me trompera, inévitablement. À l’instar de celles qui, autrefois, venaient me sortir d’un enfer avant de fatalement m’enfoncer dans un autre.
Soudainement, son sourire vers moi capte mon attention, interrompant mes pensées funestes. Elle a l’air tellement sincère. Il reste que, n’en déplaise à la dame, si jamais son discours n’était pas que chimère, j’ignorerais comment mordre dans la vie. Il est impossible de naître sans avoir été sciemment conçu. Sans avoir été un tant soit peu désiré. Elle s’imagine me voir m'abandonner à respirer alors que d'instinct, je voudrais disparaître.
Ignorante de mon déplorable constat, la dame nous cuisine, avide de connaître nos ambitions. Or, si elle savait. J’espère si peu au fond de moi. Quoique, avoir été perçu en objet est mon lot depuis ma naissance. Du coup, exister à la place de subsister me plairait bien. Et aussi choisir, au lieu de subir. En fin de compte, au moment où j’ai tué, je n’ai fait aucun choix. C’est arrivé, tout simplement. Aussitôt, des images de l’homme défiguré me remontent à l’esprit. De suite, une grimace de dégoût me dévisage à mon tour. Malheureusement, j’ignore ce qui m’écoeure le plus. Les penchants pervers de la bête ou ma façon de l’avoir saignée. Naturellement, j’aimerais mieux la première option, d’autant que, durant ce débordement de violence, je ne sais même pas si j’ai perdu le contrôle ou si, au contraire, je l’ai pris. C’est troublant.
Tiens donc, depuis le début de mon incarcération, c’est la première fois que je pense à mon tuteur. Grâce au ciel, aucun sentiment de culpabilité n’envahit mon âme. Cela va de soi, étant donné que les abuseurs ne méritent pas de vivre. En définitive, vu sous cet angle, le poignarder était peut-être la solution finalement. Là où le bât blesse, c’est que j’ignore si les abusés, en l’occurrence moi, en sont dignes. Ma personnalité est tellement médiocre. Pourquoi offrir une vie à un déchet, un lâche de la pire espèce. C’est un vrai gâchis. En fait, la seule journée où je n’ai pas été un tel cauchemar vivant, c’est celle du meurtre. C’est la seule fois où j’ai réagi, et je devrais en être fier. Cependant, de par cet acte sanglant, suis-je devenu un tyran, à l’instar de ma victime. Si ce n’est pas le cas, cette action serait donc simplement celle d’un martyr désespéré. Lequel des deux attributs est le moins néfaste à endosser. Malgré que, cela a peu d’importance. Que je sois dans la peau de l’un ou de l’autre, je suis méprisable.
Cet état de fait me pousse soudain à regarder les déviants sur place et à me demander qui doit vivre, qui doit mourir. En réalité, ils me déconcertent. Non, ils me répugnent, car ils prennent plaisir à détailler leur conduite à la dame. Cette repentance excessive a sûrement comme but de dissimuler leur âme de despote.
Faute de mieux, mon regard se tourne vers elle. Certes, j’entends ses mots, mais je ne les écoute pas. En revanche, je sens sa présence, je vois son corps. Or, mon regard s'attarde uniquement sur ses formes enivrantes. Il est difficile de ne pas les remarquer. Seulement, lorsqu'elle s'adresse à moi, son discours est celui d’une adulte à un enfant. Elle ignore donc qu’à l’intérieur, j’ai 2000 ans.
Inévitablement, bientôt sera la fin de la séance. Satisfaction ou fatalité, je l’ignore, pareillement que lors des rencontres précédentes. Néanmoins, cela viendra, après une heure de fausses discussions où elle tente, sans succès, de m’extirper le peu de mots me restant encore. Heureusement, je suis suffisamment intelligent pour savoir qu’elle veut probablement notre bien. C’est juste que, euh… j’ai peur d’éprouver des sentiments étant à risque de basculer n’importe quand.
À mon grand désespoir, les femmes ont perpétuellement le même discours. Du coup, que croire. Depuis l’âge de la pleine conscience, j’obtempère avec tout le monde afin de minimiser les blessures apparentes, au détriment de celles invisibles, et pourtant indélébiles. Obtempérer, n’est-ce pas cela, mourir. 
Après une telle pensée, la fatalité doit apparaître sur mon visage, car elle n’insiste plus auprès de moi. Elle s’adresse davantage aux autres. Pourtant, une suggestion de sa part arrive à m’atteindre en titillant ma seule vraie passion, les mots. Elle aimerait que nous écrivions un journal. Pas pour elle. Pour nous. Ça permettrait d’apprendre à nous connaître, mais aussi ça nous aiderait à nous souvenir des belles choses qui nous sont arrivées. Elle l’ignore, seulement je n’en ai aucune. Ma vie est noire.
 Un long moment s’écoule, puis elle nous donne congé. L’inutilité de ces séances est frappante. Je n’en reviens jamais.
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Même si elles sont souvent chargées
de profondes certitudes, les perceptions 
de tout un chacun ne sont évidemment pas
des garanties de vérité.
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