Franck Seigneur

(...) les hommes ont beaucoup plus peur de ce qu'ils ne voient pas, que de ce qu'ils voient.

Un monde qui, hormis l'Autriche où il avait passé deux ans en tant que prisonnier de guerre, se cantonnait pour lui à cinquante kilomètres à la ronde. Et ça faisait déjà bien assez d'emmerdeurs  comme ça au kilomètre carré pour l'ancien bûcheron devenu misanthrope sur ses vieux jours.

Son regard se perdit sur la blancheur du chemin que l’orée du bois gobait comme une gueule de pénombre. Noire, béante, ouverte comme le rire édenté d’un dément s’esclaffant de lui avoir joué un sale tour.

- Excusez mon ignorance, mais... dans quel intérêt un si long processus pour boire du thé?
- Intérêt... Pourquoi chercher intérêt et profit en tout? Prenez toute chose telle qu'elle se présente à vous, commandant. Voyez la beauté dans la simplicité. Par son uniformité et sa transparence chargées de mille parfums, le thé symbolise parfaitement la richesse intérieure dans la simplicité. Il s'agit d'une quête de dépouillement absolue.
- ... A quelles fins?
- Afin de se parer d'humilité, se purifier, se retrouver soi-même quand le monde autour de vous va trop vite, trop mal...

- Les croyances des Kélayès sont imprégnées de diverses influences religieuses. Ils sont polythéistes et ont compté jusqu'à une bonne vingtaine de dieux régulièrement vénérés. Les fondements de leurs rituels puisent dans les religions shintoïste, hindouiste et au culte vaudou. De quelle manière leur sont parvenues ces multiples influences, cela reste un mystère. Quant au masque, il symbolise à lui seul l'époque où les Kéralès étaient un peuple guerrier infligeant à ses prisonniers la torture qu'il représente et ce, dans le cadre d'une cérémonie d'exécution. Cette dernière était encore pratiquée aux environs de 1955. Ce rituel de condamnation était basé sur le fait qu'en l'empêchant de voir et de crier au moment de sa mort, ils emprisonnaient l'âme de leur ennemi dans son corps et, de la sorte, lui interdisaient de le quitter et de pouvoir un jour se réincarner. Voilà pourquoi ils cousaient les yeux et les lèvres des malheureux. De cette manière, ils étaient sûrs de sa destruction totale, physique et spirituelle. A ces liens, ils associaient encore un acte que ce masque ne nous montre pas et qui provoquait à coup sûr la mort du malheureux. Ce dernier acte était directement hérité de croyances hindouistes. Ils perforaient le corps du supplicié...

- Que veut dire "Einsatzgruppen" ?
- Si on en fait une traduction littérale, cela peut signifier les "troupes d'enjeu". L'enjeu en question étant la germanisation des territoires de l'est. Ces unités ont été créées par Hitler dans le seul but de "nettoyer" de tout opposant cette politique de germanisation. Elles aétaient au nombre de six et agissaient en seconde ligne, après le passage des divisions d'assaut qui envahissaient les territoires au moyen d'armement lourd. De la Pologne à la Russie, leur rôle était de liquider des millions de civils innocents, sous le seul prétexte qu'ils appartenaient aux sous-races définies par Hitler, telles que Juifs, Tziganes ou encore Russes bolcheviques. Ils ont décimé des villages entiers, hommes, femmes et enfants. Sans aucun état d'âme.

Ce sont les samouraïs qui ont en partie donné ses lettres de noblesse à la cérémonie du thé. Le chanoyu était pour eux un profond moment de méditation en même temps qu'une préparation mentale avant de se livrer au combat.

Hitler s'est littéralement emparé de l'histoire des Chevaliers Teutoniques, car ainsi qu'il aimait à le rappeler : "Une nation prend naissance avec sa mythologie". C'est pourquoi il fit de nombreux choix militaires délibérément chargés de symbolique teutonique. Le plus évident de ces symboles fut la croix de malte des chevaliers, reprise et transformée par les nazis en croix de fer.

Ainsi, ces crimes ritualisés qu'il avait cru être l'oeuvre d'un seul fou, se répétaient-ils depuis des siècles. De tribus primitives en peuples dits civilisés, des hauts plateaux du Cameroun aux sous-sols fétides du Neuhof, une seule et même sentence châtiait des hommes qui, s'ils n'appartenaient pas aux mêmes époques, semblaient néanmoins susciter une même crainte.