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Citation de SophiaM1979


Ces dernières années , j’ai pu parcourir longuement l’espace strié de Manhattan, du nord au sud, du sud au nord, de l’est à l’ouest, de l’ouest à l’est… Je me suis parfois senti happé par les grandes avenues, ces perspectives pleines de promesses bien droites. J’ai alors recherché un lieu de pause, un banc, une oasis de calme, sans les trouver. De nombreux espoirs de repos ont été déçus. S’asseoir sur les marches d’une Brownstone House n’a pas toujours été un moment heureux. On y trouve vite la compagnie que l’on ne cherchait pas.
Parfois, je suis entré à l’intérieur de magasins pour me glisser dans cette bulle rêvée de l’extérieur. En quête de repos, je n’y ai trouvé que mouvement.
Plus étrange. À New York, je me suis également senti « handicapé », incapable d’être et d’agir dans cette ville-horizon handicapante. Le handicap n’est pas seulement un « faire » que l’on ne peut pas ou que l’on ne peut plus, un potentiel d’activités perdu. Il est aussi et surtout ces passivités désormais absentes. On ne peut pas ou on ne peut plus faire confiance à son corps, le laisser en sommeil dans l’activité. Il faut « faire attention », peut-être même plus attention. Par « attention », je n’entends pas quelque chose de cognitif, comme avoir son « esprit » focalisé en permanence sur quelque chose. J’entends plutôt une tension très physique. Une émotion sans achèvement. Quelque part, le corps d’un handicapé est plus grand que celui des autres. Il ou elle ne peut pas s’autoriser les multiples passivités des gens dits « normaux ».
Lors de mes marches à New York, j’ai parfois senti cela. Cette bande-son permanente sature tout le champ auditif. Elle crée une tension dans nos oreilles. Les sirènes des ambulances et des camions de pompiers, le bruit métallique du métro, les klaxons, ces personnes marchant un petit baffle audio en bandoulière, ces conversations criées sur le kit main libre d’un smartphone… tout concourt à ce grand vacarme sans fin. Ces immeubles répétés à l’infini, cette circulation, ces paquets livrés partout, les annonces publicitaires et les panneaux lumineux, ces corps marchant trop vite, tous saturent le champ visuel. Il faut là aussi « faire » attention et reprojeter en permanence son espace. Les odeurs multiples prennent le nez. Odeurs de « fast-foods » et de gras, sorties fumantes sur la rue et les trottoirs, respiration de l’humidité marine, incinérateur dont le souffle est rabattu par le vent…, ces senteurs sont suspendues partout dans l’air. Le champ gustatif n’est pas en reste. Toutes les gastronomies se retrouvent à Manhattan. Et notre tactilité ne sait plus trop où donner des pieds et des mains. On marche sur tous les types de sol à New York, de la terre de Central Park aux rues pavées de Greenwhich Village en passant par les tapis moelleux des magasins de luxe de Park Avenue. On touche le béton le plus mort comme on est touché par le vent marin le plus vivant.
Dans le sens de cette réflexion, je me demande parfois si New York n’est pas une ville handicapée. Une ville avec un corps trop grand pour elle. Une ville avec un corps trop grand pour nous.
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