François de Belleforest

Appartenant au genre des récits brefs, les Histoires tragiques connurent un succès retentissant dès leur apparition en 1559, largement popularisées par le continuateur François de Belleforest qui les fit entrer dans le cadre de la littérature de la Contre-Réforme. Ayant foi en la vertu pédagogique des exempla, il fait de ces nouvelles des récits exemplaires qui traduisent les angoisses contemporaines d’une époque violente, ensanglantée par les guerres de religion et les luttes de pouvoir. Belleforest, par le biais des Histoires tragiques, fait un travail de moraliste : c’est l’occasion de dénoncer les passions et de stimuler le lecteur par des exemples positifs de personnage du passé et de susciter l’horreur par les exemples négatifs.



Le Cinquiesme tome des Histoires tragiques est un recueil de douze nouvelles qui nous conduisent de l’Europe centrale à Haïti, prolongeant ainsi l’ambition cosmographique de son auteur. C’est l’occasion d’aborder les grands mythes de l’histoire des civilisations, Belleforest ayant l’ambition de proposer une réflexion sur le sens de l’histoire.



Si le recueil est centré sur des thèmes comme la justice, le châtiment et la vengeance, il se fait place peu à peu à d’autres perspectives, typiques du XVIe siècle en général et qui ont un écho particulier pour la France de cette fin de siècle, telles que la violence du pouvoir politique ou la tyrannie, qui dessinent une réflexion sur le bon Prince.



Les récits de ce recueil mettent en scène des personnages forts, de Hamlet (qui inspira Shakespeare) au sultan Soliman, de la reine Jeanne Iere à Vlasta qui ont la particularité de manifester une individualité transformatrice. Cette montée de l’individualisme est relativement nouvelle, et Belleforest semble vouloir transmettre l’idée que les pulsions au nom de l’intérêt collectif mèneraient les peuples à la catastrophe, et que seul l’individu pourrait assurer la coexistence de valeurs contraires.



Ces nouvelles ne sont pas uniquement inspirées par des personnes illustres de l’Histoire, elles sont aussi un témoignage de faits contemporains qui ont eu un écho retentissant à l’époque, affirmant ainsi le lien entre l’histoire tragique et le fait divers. Ce caractère est présent dans quatre histoires : celle de Marguerite de Roberval, qui fut abandonnée sur une île de Terre-Neuve par son frère (une histoire que l’on retrouve aussi traitée dans l’Heptameron de Marguerite de Navarre), celle d’une jeune femme violée par des calvinistes, celle du comte Gaston III de Foix qui assassina son fils (histoire rapportée par Froissart) et enfin celle d’un seigneur de Saint-Jean-Ligoure qui tua sa femme et sa famille.



Ces douze récits sont aussi une somme de savoir encyclopédique. Le lecteur y trouvera ainsi une compilation des connaissances de l’époque, heureusement éclairée par le travail critique de l’éditeur.



Je ne vous mentirai pas : le Cinquiesme tome des histoires tragiques est en premier lieu à destination des universitaires. Malgré le travail critique qui facilite l’accessibilité du texte, le glossaire consistant, et la préface très éclairante de Campangne, l’ouvrage nécessite quelques connaissances préalables sur l’époque pour pleinement apprécier la lecture. De plus, les longues digressions moralisantes de Belleforest peuvent « dégoûter » les lecteurs les moins avertis et leur faire abandonner la lecture.



Pourtant, c’est un livre passionnant, qui témoigne du dynamisme littéraire propre à cette époque et fait écho aux actualités et événements qui agitent le XVIe siècle. L’Histoire tragique est au carrefour des autres genres littéraires : celui du récit bref, de la cosmographie et de l’historiographie mais qui fait aussi appel à la dramaturgie. La perméabilité que l’on observe entre le narratif et le dramaturgique est telle que la conception du tragique qui se dégage des nouvelles sera celle retenue par le XVIIe siècle pour la tragédie.
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