Quelque chose bougeait en haut de la falaise. J’ai plissé les yeux. [...]
- Là, tu ne vois rien, sous le pin?
- Ils sont deux, a-t-elle fini par dire, un grand et un petit, on dirait un enfant.
Le grand, debout, les mains serrées sur son smartphone, nous observait craintivement. L’enfant, affalé, contemplait obstinément, comme si nous n’existions pas, la jambe gauche de son pantalon, déchirée et maculée de sang séché. Il a fini par relever la tête. Il avait de grands yeux noisette, de longs cils et je l’ai trouvé beau malgré son teint gris de fatigue. Des larmes coulaient le long de ses joues, traçant des sillons dans une épaisse couche de poussière.
Ils sont fous ces Européens de dépenser du fric pour grimper sur les rochers, ai-je pensé. Chez nous, on ne grimpe pas sur les rochers pour s’amuser, pour passer le temps, mais pour récupérer une chèvre perdue ou récolter des plantes qui guérissent. On ne paie pas un type pour nous hisser en haut des falaises avec un tas de gadgets, on y va à mains nues. Et à pieds nus pour les plus pauvres.
Quelques Italiens matinaux promenaient leur chien, des fêtards rentraient de soirées arrosées. Ces gens-là ne nous regardaient pas, nous faisions partie du décor, nous nous fondions dans le mur en béton couvert de graffiti, nous étions les migrants, des êtres interchangeables, une masse indistincte.
Novembre. Il est cinq heures. Le soleil n'a pas percé de toute la journée. On avait cru, vers midi, apercevoir une lueur, mais le manteau nuageux s'est reformé, épaissi. Déjà il faut allumer, déjà l'envie de me pelotonner, de me calfeutrer. (p.47)
On bosse au rendement, si on parle cinq minutes avec une accouchée ou une collègue, c'est la réprimande. (p.50)