Proust n'est pas loin. Cependant, ce n'est pas le goût de la madeleine qui fait ressusciter le souvenir. C'est le trouble sensoriel ressenti qui rappelle ce même émoi sensuel de l'enfance, dû à un cérémonial où tout, l'atmosphère confinée, le caractère exceptionnel, l'heure, la personne de la tante, le thé, la madeleine, allait, comme condensé dans une flèche bien tirée, se planter pour toujours dans l'odeur douce et un peu fade d'une pâtisserie, c'est-à-dire sur celle des sensations ressenties alors qui était peut-être la plus à même, pour cet enfant-là, de condenser la perpétuelle vitalité de l'ensemble.
En quelque sorte, le sensualisme de Condillac prend en chacun de nous tout son sens. Le monde existe à travers nos sens avant d'exister de façon ordonnée dans notre pensée et il nous faut tout faire pour conserver au fil de l'existence cette faculté créatrice de sens : voir, écouter, observer, entendre, toucher, caresser, sentir, humer, goûter, avoir du "goût" pour tout, pour les autres, pour la vie.