Je trouvai un gentleman de tournure d'esprit bien anglais, un peu excentrique, aux manières vives, très pratique; évidemment d'un bon naturel, évidemment aussi d'un caractère difficile, détestant tout charlatanisme, légèrement égoïste, hautement intellectuel, ne manifestant pas ses facultés comme à plaisir et pour étonner mais les laissant éclater à l'occasion par un mot ou un simple regard.
Les Sept Lampes de l'Architecture étaient impatiemment attendues dans le monde cultivé et n'apportèrent aucun désappointement. Le livre fit, pour l'art de construire, ce que les Modem Painters avaient fait pour la peinture. Il renversa et déracina les idées conventionnelles et mit à leur place tout un corps de doctrines nouvelles et fécondes. On y retrouvait les mêmes hardiesses, le même dogmatisme et une éloquence encore plus émouvante. C'était le premier des ouvrages de Ruskin qui parût avec des illustrations et il ouvrait la brillante série de ses écrits où se trouvent combinés un don irrésistible de style et une exquise habileté de crayon. Il s'adressait en outre à une classe de lecteurs beaucoup plus nombreuse que les Modern Painters.
L'apparition du premier volume des Peintres Modernes produisit une vive sensation dans le monde littéraire comme parmi les artistes. Les organes attitrés de la critique furent hostiles et dédaigneux. Les peintres qu'il avait loués en les critiquant ne furent point satisfaits d'un éloge mitigé et Turner fut quelque peu déconcerté par le zèle et l'enthousiasme de son jeune défenseur. Il y avait certes, dans la tranchante hérésie du jeune réformateur, de quoi scandaliser l'amateur, l'artiste vieilli dans le métier, l'écrivain à gages et l'interprète étroit et littéral de la Bible mais les hommes éclairés y virent bien une idée nouvelle.
Ainsi que l'a fait observer un de ses admirateurs étrangers, Ruskin charme et inspire ses lecteurs, plus qu'il ne les convainc. C'est un moraliste et un évangéliste ce n'est ni un philosophe ni un homme de science. Mais un merveilleux pouvoir littéraire, des études encyclopédiques sur la nature et sur l'art, le tout illuminé par un enthousiasme ardent pour toutes les choses morales et sociales, devaient produire, par leur fusion; une des personnalités les plus séduisantes du XIXe siècle.
Dans tous ces souvenirs, dans toutes ces reliques nous trouvons les signes de cet amour inlassable de la nature et de l'art, des montagnes et des rivières l'apôtre né, l'évangéliste chaleureux, le critique positif avec son rationalisme,le littérateur sarcastique avec ses inventions brillantes Calvinisme, ferme vouloir, sentiments affectueux. En vérité, l'enfant est bien le père de l'homme !
En un mot, la défense de Turner et des Modernes devait reposer sur des bases plus larges et les anciens devaient être étudiés de nouveau.