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Citation de enzo92320


(p.105)

Ainsi, par exemple, l’affection d’une réforme fiscale qui baisse les impôts peut affecter joyeusement un même individu comme contribuable, mais aussi tristement s’il a contracté une manière de juger politiquement « à gauche » qui lui fait regretter le retrait de l’État social, de la solidarité redistributive, etc. De quel côté son âme penchera-t-elle in fine ? La réponse est : du côté des affects les plus puissants. Ici apparaît l’un des aspects les plus centraux du spinozisme, à savoir d’être un quantitativisme universel de la puissance. La vie psychique, comme toute chose dans l’univers, est régie par le principe de mesure des forces : des choses s’affrontent, les plus puissantes l’emporteront. La grande originalité de Spinoza consiste à avoir fait entrer ce principe, qu’on entend assez bien pour les affrontements de choses extérieures, dans l’« intériorité » de la vie psychique : « Un affect ne peut être réprimé ni supprimé si ce n’est par un affect contraire et plus fort que l’affect à réprimer » (Éth., IV, 7). Sous ce principe général, les propositions 9 à 18 de (Éth., IV) développent ces lois de puissance qui déterminent l’issue des conflits d’affects – selon que la cause des affects est imaginée présente ou absente, proche ou lointaine dans le temps, nécessaire ou contingente, etc.

Pour sommaire qu’il soit, quels traits singuliers ce portrait de l’homme-conatus fait-il déjà apparaître ? On ne lui voit aucun des caractères qui font le sujet classique ou l’acteur des sciences sociales individualistes (ou interactionnistes). Ici aucune conscience unitaire, réfléchissant et décidant souverainement de l’action. L’homme est un élan de puissance mais originellement intransitif et sous-déterminé. Or toutes ses déterminations complémentaires lui viennent du dehors. Il n’est pour rien dans les affections qui lui arrivent et tout ce qui s’en suit se produit sur un mode quasi-automatique : loin d’être l’instance de commandement qu’on imagine souvent, la psyché n’est qu’un lieu sur lequel s’affrontent les affects déterminés par le travail de l’ingenium, tel qu’il est lui-même le produit hétéronome d’une trajectoire (socio-) biographique. Les balances affectives qui en résultent déterminent à leur tour des efforts vers les sources imaginées de joie et loin des causes imaginées de tristesse. Toutes ces idées ont été formées, non par quelque cogito souverain, mais dans le sillage même des affects antérieurement éprouvés par lesquels se sont constituées des manières de sentir et de juger. L’homme est un automate conatif et affectif, les orientations que prendra son élan de puissance sont déterminées par des forces qui sont pour l’essentiel hors de lui. Il en suit, sans même s’en rendre compte, les directions, et pourtant rien de tout cela ne l’empêche de nourrir, par des mécanismes cognitifs que Spinoza n’omet pas de détailler (Éth., I, Appendice), l’idée de son libre arbitre ou bien celle que son esprit commande à son corps ! C’est dire le régime de conscience tronquée et de connaissance mutilée où il se tient d’abord : « Les hommes se trompent quand ils se croient libres ; car cette opinion consiste en cela seul qu’ils sont conscients de leurs actes mais ignorants des causes qui les déterminent » (Éth., II, 35, scolie).
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