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Citation de Woland


[...] ... En 1905, la misère urbaine s'aggrave quand la révolution économique en cours entasse un nombre croissant de moujiks déracinés dans les faubourgs. Et puis les terroristes n'ont pas desserré leur étreinte. Bon an, mal an, ils continuent à porter des coups terribles à l'administration impériale. C'est une guerre très étrange qu'ils mènent depuis l'assassinat d'Alexandre II, "le tsar libérateur", en 1882. Ils sont, pour la plupart, des enfants de l'"intelligentsia", de la bourgeoisie, de la petite noblesse, grandis dans les universités impériales, et connaissant parfaitement le milieu contre lequel ils se révoltent. Ils savent espionner, s'infiltrer à l'intérieur du corps impérial et y placer leurs bombes. Ils pratiquent un code d'honneur tel qu'ils restent sur les lieux, lorsqu'ils ont réussi un attentat, dans l'attente du procès qui leur permettra de clamer pourquoi ils ont tué et pourquoi leurs successeurs tueront à leur tour. Bien que certains d'entre eux soient déjà marxistes, d'autres nihilistes, d'autres encore appartenant à l'obscure nébuleuse des divers rebelles à l'autocratie, leurs actes revêtent une dimension mystique singulière, qui tient à la fois de leur appartenance à la société russe et d'un fanatisme irrationnel qui préfigure celui des terroristes kamikazes d'aujourd'hui. Leur martyrologe suscite des émules aussi fanatisés qu'eux-mêmes. Ainsi, le fameux Plehve, le ministre de l'Intérieur tout puissant de Nicolas, qui organisait des pogroms à chaque période de tension et a poussé à la guerre après l'attaque japonaise, meurt assassiné en 1904 par un révolutionnaire qui lance une bombe sur son fiacre. L'habitude d'utiliser pour les enquêtes des anciens révolutionnaires repentis ou qui affectent seulement de l'être rend la police inefficace et fait peser sur elle un soupçon constant. Ainsi, à l'intérieur de la police même, tout le monde se suspecte : qui sert vraiment le tsar et qui le trahit en ayant l'air de le servir, qui louvoie, marchande et négocie avec les terroristes ? On s'aperçoit que la contamination de la police monte jusqu'aux niveaux les plus élevés. Dans cette atmosphère délétère, c'est la société tout entière qui engendre des personnages ambigus et exaltés. Le moine Gapone par exemple. C'est un moine rebelle de Saint-Pétersbourg, en rupture avec la hiérarchie, qui prône un évangile social, organise des syndicats ouvriers, bénéficie auprès du prolétariat d'une position considérable, et intimide l'aristocratie où sa piété et son sens de la mise en scène ont fait de nombreux émules. Ses fidèles ignorent que Gapone donne aussi des informations à la police et trahit les militants du monde ouvrier qui pourraient être des rivaux pour lui. C'est à la fois un prêtre remarquable de dévouement, un stratège politique ambigu, un trouble ambitieux : le modèle même des dangereux agitateurs qui enracinent leur arrivisme dans la misère de Saint-Pétersbourg où les usines augmentent les cadences pour servir la guerre [contre les Japonais].

Ainsi, le 9 janvier [1905], Gapone entraîne une foule considérable d'ouvriers à travers la capitale pour remettre une supplique au tsar. La ville est en grève depuis plusieurs jours, tout est arrêté. C'est un dimanche, jour de célébration religieuse, et Gapone mêle, comme à son habitude, incantations mystiques et rhétorique politique. Nicolas n'est pas à Saint-Pétersbourg, mais comme le plus souvent, à Tsarkoïe Selo. Il est à peine au courant du climat qui règne dans la ville et on ne lui en donne que des indications lénifiantes. Oui, il y a de l'agitation à Saint-Pétersbourg ; oui, il est prévu que les ouvriers fassent une manifestation, mais rien de bien redoutable. Et Nicolas demande que l'ordre soit respecté, sans mesurer l'impact de cette instruction, ni ce qui pourrait en résulter. ... [...]
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