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Citation de cegeglyx


Elle disposait de sa propre maison, dont la porte était ouverte à tous et j’y allais souvent, pour lui raconter mes joies et mes peines, ou bien des anecdotes se rapportant au chat du châtelain, un matou gigantesque appelé Azraël qu’avec mes camarades nous passions des journées à poursuivre et à fuir parmi les champs de salsepareille, lui tirant la queue et les moustaches quand celui-ci se rapprochait trop et faisait mine de nous dévorer ou nous griffait, et puis, quand, lassée de mes histoires, elle me tançait d’un œil rieur, rendu adamantin par un rayon de la Lune, qui déjà, commençait à poindre, nous entrions dans un silence où nos âmes semblaient s’entrelacer dans la ténèbre bucolique d’un seul chœur. Parfois, en contemplant l’éclat diapré de ses prunelles de jais, je sentais mourir en ses yeux ces soupirs que n’avait pas épanchés l’épaule d’une amie, je sentais mourir en sa gorge bleutée ces sanglots qu’aucune mère n’avait bercés, je sentais mourir en son sein ces confidences qu’une sœur n’avait jamais recueillies et, doucement, mon œil se mouillait à ces tristes échos d’un passé inexistant. D’autres fois encore, c’était elle qui me parlait, modulant tour à tour des histoires aigües, rapides et séquencées ou se mêlaient caprice et fantaisie, et des souvenirs graves qui semblaient, comme des mauvaises herbes, s’arracher de son cœur au fur et à mesure qu’elle me les racontait ; et je les ramassais comme un jardinier fou, qui aspirerait à lui restituer un jour en hommage le noir bouquet de ses pensées, arrangées si savamment qu’elle ne les reconnaîtrait plus, allant jusqu’à trouver une harmonie étrange à ces affreuses fleurs.

Emanuel Dupont - La période bleue de Marcel P.
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