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Citation de Charybde2


Dans la paralysie générale de l’imaginaire collectif ou social, auquel « aucune idée ne vient » (Karl Kraus) quand lui incombe la lourde tâche de fantasmer un système économique planétaire, le vieux motif du complot a retrouvé un second souffle, comme structure narrative susceptible de réunir les deux composantes fondamentales : un réseau potentiellement infini, ainsi qu’une explication plausible de son invisibilité ; en d’autres termes, le collectif et l’épistémologique.
Formuler les choses ainsi permet de comprendre que cette structure médiatrice et allégorique imparfaite – le complot, pas même encore le système mondial – pose de graves dilemmes représentationnels. Les récits traditionnels étaient de piètres véhicules du collectif (sauf en de rares moments de guerre ou de révolution), et la fonction de connaissance n’a jamais paru très compatible avec les Belles Lettres. Mais surgit aussi la question de la Valeur : en effet, l’allégorie de complot doit être entachée d’imperfection pour pouvoir servir de carte cognitive, qu’il serait catastrophique de prendre pour la réalité, comme le fit la Félicité de Flaubert qui, lorsqu’on lui montra une carte de La Havane, où son neveu avait débarqué, demanda à voir la maison où il séjournait).
Pour l’essentiel, l’investissement cognitif ou allégorique dans cette représentation de complot sera d’ordre inconscient : car c’est seulement là, au niveau profond du fantasme collectif, que nous pensons tout le temps au système social, là que nos pensées politiques peuvent déjouer la censure libérale et antipolitique. Ce qui signifie que la fonction cognitive du récit de complot doit pouvoir vaciller comme une image rémanente subliminale, et du même coup, que la surface de cette représentation ne saurait prétendre à la monumentalité du Grand Art (du moins jusqu’à l’avènement du postmoderne, où Grand Art et culture de masse s’interpénètrent, et confèrent un statut « artistique » à des intrigues de complot comme celles de Pynchon).
Quant à la dimension collective de cette machine herméneutique, elle se trouve propulsée dans un nouvel ordre de choses par l’intensification dialectique de l’information et de la communication, lesquelles demeurent non thématisées tant que l’on reste dans le domaine de la foule, ou dans une vue d’ensemble de la bataille de Waterloo, tel Victor Hugo dans Les Misérables. L’expansion de la technologie les a cependant transformées en problème à part entière, comme en témoignent cette thèse intitulée « La première apparition du chemin de fer dans la littérature anglaise (ou française) », ou encore Proust et ses embarrassantes Demoiselles du téléphone. Mais puisque le système mondial du capitalisme tardif (ou de la postmodernité) serait inconcevable sans les médias informatisés – technologie qui abolit l’espace et faxe dans ses branches une simultanéité inouïe -, on verra que c’est l’information qui constitue tout à la fois le problème et sa solution : les allégories propres à toute cartographie cognitive du système mondial incluront donc, outre le collectif et l’épistémologique, un troisième terme communicationnel.
Dans ce livre, nous voudrions donc explorer les nouveaux récits symptomatiques en suivant trois lignes directrices : 1. les interroger en fonction des modalités allégoriques selon lesquelles ils font de l’objet-monde le support du complot – comment ils le préparent, le disposent, le présentent, et transforment du même coup les objets qui peuplent le quotidien en technologie de communication ; 2. tester l’incommensurabilité entre un témoin individuel – personnage d’un récit qui demeure anthropomorphique – et le complot qu’il doit s’efforcer de dévoiler ; 3. la chose même : comment les éléments de l’ici-et-maintenant pourraient-ils exprimer et désigner une totalité absente et irreprésentable ? Comment les individus additionnés pourraient-ils excéder leur simple somme ? Après la fin de la cosmologie, à quoi pourrait bien ressembler un système mondial ?
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