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4.06/5 (sur 9 notes)

Nationalité : Canada
Né(e) à : Lac-Mégantic
Biographie :

Gabriel Filippi est un alpiniste et conférencier.

C’est en 1995, pendant une carrière de gestionnaire, que l’alpinisme l’appelle. Après quelques mois de préparation, il applique en haute altitude les compétences acquises en affrontant le mont Aconcagua.

En 2003, il est le chef d’expédition de la Cordée du cœur. Il met sur pied une équipe multi-disciplinaire qui réalisera une grande première mondiale.

Il devient en 2010 le premier Québécois à gravir l’Everest par ses deux versants, soit par le Népal et par le Tibet. En 2019, il réalise une troisième ascension.

Il a également réussi l'épreuve de triathlon l'Ironman en 2010.

Gabriel Filippi vit à Montréal.

son site : http://www.gabrielfilippi.com/
Twitter : https://twitter.com/gabrieleverest?lang=fr
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Gabriel Filippi Session automne 2018


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Prologue
Camp de base
Je me réveille au son du crissement des bottes dans la neige. Il doit être deux heures du matin; c’est le moment où les sherpas commencent à déplacer leurs clients en vue de l’ascension de la journée. J’entends leur toux et leur respiration sifflante quand ils passent près de ma tente, au pied du glacier Khumbu de l’Everest. Une centaine d’alpinistes jouent à suivez-le-guide dans cet espace glacial qui se dresse vers l’est. Ils parlent toutes les langues du monde: néerlandais, coréen, russe, anglais avec un accent texan.

J’essaie de me rendormir. Je me tourne dans mon sac de couchage, le dos au versant sud de l’Everest, et j’ajuste ma tuque sur ma tête. Je suis sur le point de sombrer dans le sommeil quand la lueur de la lampe frontale d’un retardataire passe à travers la toile couverte de neige. Pendant un moment, l’intérieur de ma tente est tout illuminé, et j’aperçois la vapeur de ma respiration dans la lumière. Bientôt, je n’entends plus que le halètement d’un chien dans la neige. Je dors comme une bûche jusqu’à ce que le soleil surgisse au-dessus des montagnes et réchauffe l’air dans ma tente. Les premiers bruits matinaux sont ceux des clochettes suspendues au cou des yaks qu’on fait entrer et sortir de ce camp en haute altitude.

Nous sommes le samedi 25 avril 2015. Je suis un vieil homme, relativement parlant. Un grand-père de 54 ans. Pourtant, je sors de mon sac de couchage avec l’impression d’en avoir 24. Comme la plupart des alpinistes, je suis dans un état de perpétuelle adolescence. Les gens disent que je suis irresponsable, que je joue avec la mort, que je suis un sale égoïste d’avoir abandonné ma conjointe, les filles et ma petite-fille pour venir ici. Ils se moquent de moi quand je leur dis, convaincu, que je sortirai indemne de là où d’autres meurent.

J’accueille le nouveau jour avec un bâillement et une toux. Je fais tomber la neige de ma tente en frappant la toile, puis j’allume mon réchaud de camping pour réchauffer de l’eau. Je suis peut-être jeune de cœur et d’esprit, mais mon corps a besoin de ces rituels de confort. Le camp de base de l’Everest s’étend devant moi quand j’ouvre le rabat de toile derrière mon oreiller. J’observe les rochers couverts de neige et les quelque 800 tentes étalées sur un kilomètre de roc et de glace sur le flanc népalais de la montagne. L’eau bout. Je savoure mon expresso en regardant mes confrères alpinistes sortir en rampant de leurs tentes.

La caféine agit rapidement. Je vérifie mon sang, j’inscris ma saturation en oxygène de la journée (91%, pas mal pour un homme qui vient de dormir à cinq kilomètres et demi au-dessus du niveau de la mer. N’importe qui sauf un Sherpa se satisferait d’un taux de 80). J’enfile mon jean et mes bottes, je prends ma veste et sors dans la neige. Le chien errant m’accueille à la porte de ma tente. Je l’appelle Khumbu.

Il renifle mes bottes et tourne autour de moi pendant que je me dirige vers la tente où se trouvent les toilettes: un seau en plastique surmonté d’un siège de toilette. Puis je vais à la tente-cuisine, où j’avale un autre café et un bol de gruau et où je retrouve mon amie Sylvie, une anesthésiologiste des Laurentides, qui me paie pour l’aider à gravir la montagne en sécurité.

Sylvie et moi nous asseyons pour revoir son plan de la journée. Nous sommes immobilisés au camp de base, le premier de cinq camps établis sur le versant sud de l’Everest. Je lui confie à quel point j’ai perdu confiance en cette ascension. Environ 150 alpinistes, peut-être davantage, font la queue depuis des heures à attendre leur tour pour franchir les échelles qui constituent le seul passage «sûr» à travers la cascade de glace, jalonnée de profondes crevasses et de parois instables.

Pour empirer les choses, on dirait que la mousson, qui ne survient généralement pas avant la fin du mois de mai, est déjà arrivée dans la vallée. Il y a trop de neige sur cette montagne. Il est un peu tard dans la saison pour attendre le bon moment de monter jusqu’au camp 1.

— Nous resterons ici au moins une autre nuit, dis-je à Sylvie. Ensuite, nous tenterons de nous rendre au camp 1. Avec un peu de chance, il y aura une petite période de beau temps sans trop de grimpeurs.

L’Everest n’est plus notre objectif cette saison. J’ai décidé que Sylvie et moi allons suivre les autres jusqu’au camp 4, puis aller vers l’est, à l’écart de la foule, pour nous attaquer à la quatrième plus haute montagne du monde, Lhotse.

De gros flocons tombent quand je sors de la tente. Khumbu m’attend. Je me penche pour lui caresser la tête. Il sait que j’ai un œuf dur et du chapati dans ma poche. Je dépose le pain sur la neige devant son nez et je le regarde manger. Quand il a terminé, nous traversons le camp, en nous arrêtant de temps à autre pour que je puisse reprendre mon souffle et admirer le paysage.

Une femme est assise dans la neige à côté de sa tente. Elle lave ses sous-vêtements dans un seau d’eau chaude pendant que de la fumée s’élève d’un autel de pierre derrière elle. Une équipe de sherpas et d’alpinistes ajoutent des branches de genévrier au feu et déposent des offrandes à la montagne. J’entends un ruissellement à travers le camp de base et sur le flanc de la montagne. C’est le glacier qui fond sous mes pieds. Khumbu se tourne pour me regarder, et pendant un instant, je ne sais plus où nous allons, tous les deux. Comme deux êtres errants, nous avons suivi les sentiers rocailleux et les ponts à partir de la vallée, en nous habituant aux périls de la vie à l’ombre de la montagne.

Le chien me suit depuis des jours. Il mange ce que je mange, va où je vais, voit ce que je vois. Je commence à me demander s’il essaiera de me suivre vers le sommet. Il y a toujours des chiens sur la montagne; ils enfoncent leurs griffes dans la glace et la neige, et gravissent la pente en haletant. Ils rebroussent chemin bien avant d’atteindre le sommet. Comme ils ne peuvent pas compter sur de l’oxygène supplémentaire ou des vêtements en Goretex, ils finissent par obéir à leur instinct de conservation. Je n’ai jamais vu un chien se tuer sur la montagne, mais je ne peux pas en dire autant des hommes et des femmes que j’ai croisés au cours de mes voyages.

Je flatte la tête de Khumbu, puis je poursuis mon chemin à travers le camp, passant devant des drapeaux de prières et des tentes remplies d’alpinistes qui toussent, pour rejoindre la tente de mon ami Elia, un véritable frère pour moi.

Elia Saikaly est un réalisateur canadien dont la passion pour l’altitude est égale à la mienne. Lui aussi est inquiet. Il était debout cette nuit pour regarder son chef d’expédition envoyer les sherpas avec l’équipement aux camps 1 et 2. En les voyant disparaître dans l’obscurité, il s’est dit: «Envoyer les sherpas dans la cascade de glace, c’est comme envoyer tes fils à la guerre. Tu ne sais jamais s’ils vont revenir.» Je me glisse dans la tente d’Elia avec un but précis: emprunter son Wi-Fi et envoyer un courriel à la maison.

«Après quatre semaines d’expédition, écris-je, toutes les équipes n’ont pas encore atteint les camps supérieurs. Le temps est instable. Les prévisions sont les mêmes pour les six prochains jours, ce qui nous mènera au mois de mai. À ce moment-là, il ne restera que quatre semaines pour commencer et terminer l’acclimatation avant de nous lancer à l’assaut du sommet. S’il n’y a qu’une fenêtre, je privilégierai probablement une seule montée à partir du camp de base, en n’arrêtant qu’une seule fois à chacun des camps suivants.»

«Quant aux autres survivants du Nanga, j’ai rencontré deux alpinistes qui étaient au camp 2 la nuit des meurtres. Je voulais parler au survivant chinois, celui qui a fui les balles et en sait davantage sur la mort d’Ernie, mais il n’est plus ici. Il est retourné à Katmandou avec un œdème.»

L’œdème, c’est-à-dire l’accumulation de liquide dans le cerveau ou les poumons, est aussi dangereux à flanc de montagne qu’un éboulement de roches ou une chute malencontreuse dans une crevasse de 500 mètres. J’ai moi-même failli en mourir 15 ans plus tôt. Une fois mes courriels terminés, je note l’heure – 10 h 58. Il reste deux heures avant le repas. Suffisamment de temps pour retraverser le camp, retourner dans ma tente et attendre qu’un cuisinier frappe une cuillère de bois sur une casserole, annonçant que la soupe est prête.

Assis dans ma tente, j’observe le ciel nuageux par le rabat ouvert. La chaleur du milieu de la journée fait fondre la cascade de glace, la rendant trop dangereuse à traverser. Les alpinistes qui sont partis durant la nuit doivent avoir atteint le camp 1 à présent. Certains vont s’y reposer pour s’acclimater, alors que d’autres continueront jusqu’au camp 2, à 2358 mètres du sommet.

Je me serais joint à eux si j’avais jugé cela prudent. Mais je n’avais nulle envie de faire la queue pour monter jusqu’à la zone de la mort et me retrouver dans un bouchon de grimpeurs. Je l’ai déjà fait, et j’ai survécu. J’ai dû téléphoner à la famille d’une alpiniste pour expliquer qu’elle était décédée alors qu’elle se trouvait dans une file à 8500 mètres au-dessus de la mer. Je n’ai pas l’intention de renouveler cette expérience. Je reste donc prudemment au camp de base, où j’attends mon repas.

À 11 h 53, je note les observations météo de la journée dans mon journal. Je suis encore en train d’écrire lorsque le sol se met à trembler sous ma tente.
«Bizarre, ça bouge» suis-je en train d’écrire. Ce n’est qu’en inscrivant les mots «On dirait que c’est un tremblement de terre» que je comprends ce qui se passe.

Je laisse tomber mon stylo.

Je me précipite dehors en chaussettes. Le chien n’est plus là.

J’entends l’avalanche avant de la voir. Le vent gronde, tel un train de marchandises, suivi d’un nuage noir de rochers et de blocs de glace projetés dans les airs. Au début, cette masse semble avancer lentement. Puis le grondement s’intensifie, couvrant tous les autres sons. Je me mets à courir en enfilant mes
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