Gaston Sorbets

La porte s'ouvre sous le heurt d'un violent coup d'épaule et une forme féminine, sous une grande cape brune de soldat, est poussée vivement à l'intérieur par un homme, un ouvrier armé, qui referme la porte à la volée derrière lui.
Il jette son arme, un pieu ferré, dans un angle de la salle et reste là, comme interdit, derrière la forme enveloppée de bure, immobile aussi.
Au dehors, le torrent humain, roule son fracas.
L'homme fait un pas, s'arrête, revient vivement vers la porte qu'il ferme au verrou, puis va vers l'une et l'autre fenêtre, devant lesquelles il tend les rideaux de serge, et se retourne enfin vers la forme toujours immobile et voilée.
Il la considère, comme stupéfié ; puis brusquement, jette à terre sa coiffure, une sorte de bonnet phrygien, et murmure hébété :
- qu'est-ce que j'ai fait là...moi ?
Dehors,les cris de mort s'éloignent lentement.
Le flot grondant continue à passer en longue houle.....
(lever de rideau de la pièce extraite du n°295 de "La Petite Illustration" parue le 19 mars 1932)

L'oeuvre sans doute la plus complète, la plus captivante, la plus profondément humaine sur cette calamité tellement plus grave dans les temps modernes qu'elle n'était autrefois.
La pièce, semble-t-il, qu'on attendait sur ce pathétique sujet.
"La moisson verte" offre une excellente occasion de réfléchir et de confronter des points de vue divers sur un problème qui est la base de tous les efforts et dont personne ne saurait actuellement se désintéresser...
La grande oeuvre de Gaston Sorbets fait honneur à la grande tradition de la scène française.
(A l'occasion de la répétition générale, critique écrite dans le "Journal Français")

Prologue
Le premier rideau se lève et dévoile, devant le second rideau, une petite table avec des papiers épars que le président Étienne Dubourg, debout, rassemble et passe à un homme jeune, son secrétaire, assis à sa droite, de biais.
Le président Dubourg
- Reprends ces papiers. J'ai fini...
(tandis que les rumeurs d'une foule invisible mais innombrable, des vivats, des acclamations, venus de toutes parts - des coulisses et des couloirs - l'enveloppent peu à peu, l'encouragent, l'exaltent. Alors, Dubourg, reprenant de la voix)...Chers concitoyens, vos approbations me vont au coeur. Vous êtes venus de tous les points de l'horizon pour me les apporter. Je vous remercie et je vous dis : la paix et l'ordre à l'extérieur par l'ordre et par la paix à l'intérieur, voilà ce qu'il nous faut !
La foule.- Bravo !....
(lever de rideau de la pièce parue dans "La petite illustration" en juin 1933)