Grandes Voix Francophones présente Georges-Hébert Germain
Avant la fin du XVIIe siècle, les Français étaient chez eux presque partout en Amérique du Nord, depuis les rivages du golfe Saint-Laurent jusqu’à l’embouchure du Mississippi, en passant par les Grands Lacs et la Prairie. (p.108)
… à quoi bon toujours vouloir changer la vie quand le bonheur vient au moment où on ne s’y attend pas, et où rien ne peut laisser croire qu’il viendra? (p. 318)
Le cap Diamant sur lequel est posé le château Frontenac est truffé de quartz et de micas, pierre translucides qui accrochent la lumière, et de pyrite de fer et de cuivre, des sulfures naturels, qui donnent des cristaux à reflets dorés. Ces pierres ont fait rêver les premiers passants. L’Amérique, toute jeune, était déjà un inépuisable réservoir de rêves. Et de désillusion.
(p. 118)
Chez les Indiens, le sexe hors du mariage n'était pas frappé d'interdits et empreint de tabous comme chez les Blancs. On considérait les relations sexuelles comme faisant partie de la bienséance élémentaire et des plaisirs les plus légitimes de la vie. La grande liberté des mœurs sexuelles laissant peu de place aux refoulements, le viol était partout très rare et, en général, les femmes disposaient très librement de leur corps. Il semble cependant que, lors des premières rencontres, elles aient éprouvé une certaine répulsion à se laisser approcher par les hommes blancs, qu'elles trouvaient laids et sans grâce, beaucoup trop poilus et barbus à leur goût. Elles ont vite découvert qu'ils étaient plus attentionnés que leurs hommes ; ils faisaient des compliments, offraient des présents. Si les truchements et les premiers coureurs des bois ont dû développer des trésors de charme pour les séduire, les voyageurs, quand à eux, précédés par la réputation de bons amoureux qu'on leur avait faite, étaient attendus à bras ouverts.
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... Pour les amérindiens, il n'y avait pas de naissance illégitime. Les enfants des voyageurs formaient, au sein de la société indienne, une minorité très visible, mais ils n'étaient d'aucune autre manière différenciés, ni rejetés, ni adulés.
Il était cependant toujours bien vu, pour une Sauvagesse, d'avoir un amoureux parmi les Blancs. Les Indiens se montraient à ce chapitre très ouverts, très curieux des autres peuples, avec qui les femmes avaient, beaucoup plus que les hommes, le pouvoir de nouer des liens intimes et, à maints égards, satisfaisants.
Avant la fin du XVII° siècle, les Français étaient chez eux presque partout en Amérique du Nord, depuis les rivages du golfe Saint-Laurent jusqu'à l'embouchure du Mississippi, en passant par les Grands Lacs et la Prairie. Pendant un siècle et demi, ils auront été presque les seuls Européens à circuler à l'intérieur du continent, les premiers à en connaître intimement la géographie et les peuples.
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Les Français connaissaient bien les ressources de tous ces territoires et ces chemins le long desquels ils avaient semé leurs forts, leurs missions, leurs comptoirs de traite, dont 24 sur l'actuel territoire des États-Unis. Ils ont exploré, parfois occupé, pas moins de 31 des futurs États américains.
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Du nord des Grands Lacs jusqu'au confluent du Mississippi et du Missouri, les Indiens se reconnaissaient une identité commune : ils étaient tous les enfants du gouverneur de la Nouvelle-France. En 1673, Frontenac avait exigé des Iroquois qui venaient lui demander la paix qu'ils l'appellent désormais Père. De nombreux peuples indiens ont ainsi été amenés ou forcés à faire la paix. On ne se bat entre frères. Les représentants du pouvoir français qui entraient dans les pays d'en haut, guidés par les coureurs des bois, avaient pour mission d'imposer cette paix, la "Pax Gallica", cette fraternité, ciment essentiel de l'Empire français qui s'est constitué sans peuplement, mais avec le consentement, la complicité des peuples indigènes.
Rien d'étonnant, dès lors, que de nombreux mots français parsèment la géographie américaine, dont plus de 5.000 noms de localité. Parmi ces noms, souvent anglicisés ou transformés par l'usage, certains font référence à des explorateurs (par exemple (...) ; Joliet dans le nord de l'Illinois, en l'honneur de Louis Jolliet, qui explora le Mississippi en compagnie du jésuite Jaques Marquette (...)). D'autres noms sont dérivés d'expressions françaises : Bonnet Carré (en Louisiane), Trempealeau (au Wisconsin), Culdesac (en Idaho).
Dans la traite des fourrures, Blancs et Amérindiens étaient, par la force des choses et les besoins du commerce, des partenaires égaux, du rarement vu dans les relations entre sociétés prétendument civilisées et sociétés dites primitives. Les traiteurs français ne cherchaient pas à asservir le Sauvage ni à conquérir sa terre ou son âme, mais plutôt à réaliser avec lui des échanges profitables.
... les Blancs ont dû accepter des pratiques commerciales totalement nouvelles, fondées sur le troc et sur les habitudes d'échanges et de don si chères aux Indiens. Dans la logique du don, on ne paie pas pour les marchandises ; on gratifie et on honore celui qui les a données.
Champlain le premier avait compris qu'on n'achetait pas les fourrures ; on les recevait en cadeau. Il avait compris aussi qu'il fallait bien, d'une manière ou d'une autre, avoir mérité ces cadeaux et donner en retour. Donner ce dont les Indiens avaient envie ou besoin. Tout l'art du traiteur était là : savoir quoi donner. Et à qui. Et quand.
La situation même de la colonie embryonnaire, la dépendance envers la fourrure, la faiblesse du peuplement, ont contraint les Français à s'adapter au type de relations qu'entretenaient les indiens entre eux. Ce modèle a donné naissance à un personnage nouveau, le coureur des bois. La quête des fourrures, l'apprentissage de la langue, l'identification à la manière de vivre indienne, autant de traits indissociables du personnage qui grandit au cœur de la forêt canadienne. Dans cette génération de coureurs des bois apparaissent d'autres caractéristiques qui vont s'accentuer dans les années suivantes : la fuite devant les contraintes de la vie sociale et religieuse, l'attirance pour les indiennes, une fascination pour l'indépendance et l'aventure.
La parfaite maitrise d'une langue requiert une longue immersion. (...)
.. le truchement avait tout son temps. L'hiver surtout, quand la tribu restait encabanée pendant des jours et des jours et qu'il n'y avait rien d'autre à faire qu'apprendre la langue. Dormir. Rêver. Faire l'amour.
Parler c'est vivre, c'est connaître, échanger. Apprendre une autre langue, c'est apprendre la vie de l'autre, lui ressembler, jusqu'à connaître ses pensées et ses rêves, jusqu'à éprouver ses peurs, ses joies et ses peines. Et devenir comme lui, concevoir à sa manière le bonheur et le confort, le commerce, l'amour et la guerre, toute la vie.
Descendants des coureurs des bois, des voyageurs, des trappeurs et des traiteurs français, écossais et anglais qui depuis plus de deux siècles fréquentaient les pays d'en haut, les Bois-Brulés ont finalement formés une nation puissante, possédant et imposant ses règles, ses lois, sa culture. Ils se sont dotés d'un véritable gouvernement démocratique et d'une organisation sociale très inspirés de ceux des peuples indiens de la Prairie, les Assiniboines et les Nez-Percés en particulier, qui, pour la chasse et la guerre, avaient des chefs élus démocratiquement.