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Citation de Jacopo


L'ARCHANGE
...Or l'archange gardait le fabuleux jardin,
Impassible, immortel, sans voir et sans connaître
Les siècles qui roulaient au-dessus de l'Eden.

Son regard résorbé, sur l'ordre de son maître,
Comme au trône éternel, contemplait l'Infini,
Dans ce verbe émané de la bouche de l'Être.

Son aile ouvrait une envergure de granit
Et les pieds sans repos de sa veille inlassable
S'incrustaient dans le seuil clos à l'homme banni.

Le glaive haut dardait une flamme immuable :
Et, de le voir brûler ,au lointain horizon,
Les fils tristes d'Adam s'abîmaient sur les sables.

Son ardeur accablait leur naïve raison ;
Et leurs yeux neufs blessés à leur lumière torse,
N'osaient plus s'évader du mur de la prison.

Ils peinaient, aux travaux maudits livrant leur force;
Ils râlaient, la sueur au front, les sombres rois !
Et leur peau se fendait comme une vieille écorce.

Ils disputaient la glèbe aux pieds traîtres des bois;
Et les dures moissons de la terre méchante
Manquaient aux noirs sillons qu'avait creusés l'effroi.

Et toujours ignorant de l'humaine tourmente.
Symbole morne des tendances sans appel.
L'ange trouait la nuit de sa lame sanglante

Et les hommes étreints par la haine du ciel,
Entre un double horizon que répétait le glaive,
Sentaient l'âpre regret tarir leurs yeux mortels.

Ils cherchaient, au mirage inquiet de leurs rêves,
L'Oasis inconnue où jamais n'entreront
La race lamentable empreinte au péché d'Eve.

Quand l'orage inclément sur leurs chaumes hurlait,
Ils pensaient à la flûte idéale des brises,
Dans l'aurore sans fin au coeur des rameaux frais.

Et tandis que l'hiver mordait leurs faces grises,
Que la neige, chassée au fouet ivre des vents,
Comblait le fossé lâche où le faux pas s'enlise,

Ils songeaient, sous les églantines du levant,
Aux loisirs parfumés de l'herbe printanière,
Au pied de l'arbre altier où parlait le Serpent.

Mais la crainte de voir, regardant en arrière,
La vengeance de Dieu flamboyer dans la nuit,
Et l'horreur de la mort enchaînaient leurs paupières...

Pourtant, longtemps après, comme gorgés d'ennui.
Un soir, ils soulevaient leurs prunelles farouches,
Encore hantés du vol de leurs songes enfuis.

Un cri, jailli soudain expira sur leur bouche,
Et l'angoisse serra leurs flancs d'un tel étau
Qu'ils durent s'appuyer, stupides, à leurs couches.

Au fond des cieux brillants de limpides joyaux,
'Leur regard incrédule en vain fouilla... Le glaive,
Le glaive n'était plus sur le ciel libre et beau!

Alors comme un grand vent subitement s'élève,
Propage une onde grave au front des bois songeurs,
Et roule sans mourir sur l'arène des grèves.

Un titanique espoir enfla soudain leurs coeurs ;
Leurs mains, vers l'horizon, fiévreuses, se tendirent,
Et sans attendre l'aube et ses pâles rougeurs,

Adolescents nerveux dont saccadaient les rires,
Vieillards, enfants, l'épouse au poing fort de l'époux,
Dans des rumeurs de flots leurs exodes partirent.

On eut dit une mer aux incessants remous;
Leur flux passait des monts, s'étalait dans les plaines.
Forçait le hallier fauve où s'étonnaient les loups ;

Et palpitant d'orgueil sur leurs vagues hautaines.
Mêlant à l'océan l'émoi de la forêt,
S'échevelaient, brandis, de verts rameaux de chêne.

Sur leurs fronts, l'Allégresse aux cris ardents courait;
a Nos flancs enfanteront sans deuil ! » chantaient les mères ;
L'aïeul : « Nous n'aurons plus la crainte des cyprès ! »

Le pauvre : « Nos haillons s'ourleront de lumière ! »
La vierge : « Un pur amour gonfle à jamais nos seins ».
Et tous : a Nous monterons au trône de la terre ! »

Et le bruit de leur joie et de leurs pas lointains
Que les ailes des vents portaient dans l'étendue,
Un peu pareil au vol bourdonnant d'un essaim,

Puis à l'onde en rumeur dans les brumes perdue,
Océan proche enfin aux géantes clameurs,
Vint battre de l'Eden la porte défendue.

L'archange contemplait le Verbe du Seigneur:
Il frissonna soudain dans l'extase et l'ivresse,
Saisi qu'un choc mortel pût ébranler son coeur.

« Qui donc m'arrache à Dieu? » s'écria sa détresse.
Mais comme aux champs impurs ses yeux voyaient bouler
Dérisoires, l'audace humaine et la faiblesse;

« Maitre, ton glaive ardent, dit-il, va les brûler! »
Et levant son regard confiant vers les nues,
Il parlait an Très-Haut, du firmament voilé.

Mais... ciel! où s'arrêtait sa prunelle éperdue?
Quel dôme obscur cachait le paradis serein ?
Et quel arbre crispait ses branches inconnues

Autour du glaive noir comme un tison éteint?
« Dieu ! » cria-t-il. — L'appel revint. — « Dieu !» — Le silence...
" Et les hommes toujours montaient vers le Jardin.

Alors, sentant faiblir l'inutile vaillance,
A l'envol triomphant des rameaux enlacés,
Hagard, il devina l'Arbre de la Science.

C'était Lui !... Sur l'Eden sa force avait poussé,
Siècle à siècle, couvrant le jardin de sa sève;
Et voici que, raillant l'enceinte du fossé,

Il défiait le ciel, il enchaînait le Glaive,
Et, mûr, sa branche offrait l'inaltérable fruit
Aux nouveaux dieux issus du songe antique d'Ève!

Et l'archange mourut, sans comprendre la nuit.
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