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Citation de Partemps


Il faut parler dans toutes les langues

Ligne de risque 23, novembre 2007.
Entretien avec Philippe Sollers

Questions
de Yannick Haenel et François Meyronnis

1. Benoît XVI, dans son Jésus de Nazareth, évoque une « plus-value intérieure de la parole » qui rendrait possible une relecture incessante des textes et une amplification des énoncés à travers le temps. Provision de relance, la parole serait infinie et pas du tout restreinte à la communication : elle ne cesserait de s’alimenter à partir d’elle-même. Il suffit à chaque fois que quelqu’un écoute la parole dans sa provenance. Quand cette condition est remplie, le langage se déploie et nourrit spirituellement la personne qui se fait le témoin d’un tel déploiement. Rien n’est plus étranger à l’époque actuelle, marquée par un nihilisme subjectiviste, que cette conception pontificale (partagée, sur d’autres bases, par l’exégèse juive). Mais n’a-t-elle pas, au fond, une certaine parenté avec la vôtre ?

2. Une parole voulant se mettre en face de ce qui arrive — qui prend l’aspect d’un ravage planétaire — ne doit-elle pas rompre radicalement avec la pensée des Temps modernes (et donc avec ce que Joseph de Maistre appelait le « philosophisme ») ?

3. Que se passe-t-il lorsqu’un individu écoute la parole à travers la parole ? N’est-ce pas ce que la société gestionnaire dissuade de toutes les façons ? D’ailleurs, a-t-elle encore besoin de réprimer ce qui est dissuadé à ce point ? Les somnambules de l’être-ensemble comprennent-ils de quoi il est question ? Sentent-ils même ce dont on les ampute à chaque instant ?

4. Le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob ne se manifeste pas au prophète Élie dans la tempête, ni dans un tremblement de terre, ni dans le feu, mais dans le murmure d’une brise légère. Nietzsche écrit qu’une grande pensée — de celle qui casse l’histoire de l’humanité en deux tronçons — s’avance toujours sur les pas d’une colombe. Ce qui est le plus infime (que l’amour atteigne la splendeur de sa richesse ou qu’une parole se rejoigne dans l’écoute) n’est-il pas à chaque fois aussi important que la persistance de la planète ? Le plan — impossible, mais qu’on peut expérimenter — où ces étranges pondérations interviennent semble celui qui vous requiert. Le « Royaume », dit l’Evangile, est petit comme un « grain de moutarde ». A cet égard, n’êtes-vous pas plus apostolique qu’on ne le croit généralement ?

5. En 1987, vous publiez dans la collection « L’Infini » L’Invention de Jésus de Bernard Dubourg, bientôt suivi d’un second volume en 1989. Ces deux volumes révolutionnent radicalement la lecture des Évangiles. Ce ne serait plus des recueils de faits divers ou d’anecdotes sur un dénommé Jésus, ni des reportages à propos de son parcours sur terre. Mais un midrash composé en hébreu (et non en grec !) à partir de la Bible. Dubourg montre comment les lettres sont vivantes, et comment (selon divers procédés) elles engendrent le récit. L’évangélique serait donc un tour de la lettre hébraïque, d’où naîtrait une possibilité nouvelle de salut. Que pensez-vous aujourd’hui de cette thèse ? Et pourquoi les livres de Dubourg ont-ils fait l’objet d’un tel enfouissement ? Ne seraient-ils pas un sésame pour reprendre à neuf deux mille ans de christianisme ?

6. En mettant l’accent sur un problème de langue et en faisant surgir l’hébreu sous le grec des Evangiles, Dubourg ne permet-il pas à un esprit libre de saisir l’historial de l’évangélique au point où il déborde la métaphysique occidentale ? Et cela d’autant plus que cet « historial » ne se laisserait pas enfermer dans les bornes, au fond si conventionnelles, de l’historicité ?

7. L’évangélique fait-il fond, d’après vous, sur une factualité historique ? Ne repose-t-il pas plutôt sur le tombeau vide de la résurrection ? Et cet événement, dont saint Paul dit qu’il affole la sagesse du monde, ne faut-il pas le comprendre à partir des ressources de la parole ? D’ailleurs où s’ancrerait le katholikos, sinon dans une parole qui vaincrait la mort ? Et ne manque-t-on pas cet accomplissement lorsqu’on prend le grec de couverture des Evangiles pour du vrai grec ? Lorsqu’on oublie, en somme, qu’il s’agit d’une langue de traduction ? Ne reste-t-il pas à penser le passage d’une langue à toutes les autres ? Ce passage ne serait-il pas exodique, ouverture sur le parler en langues de la parole ? Ne recoupe-t-il pas ce que vous nommiez, en 1975, l’« élangues » ?
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