Gérard Nisslé

Afin de bien enfoncer le clou de « Paris capitale du romantisme et de l’amour », deux artistes ont installé sur un des murs qui bordent le square une immense plaque faite de plus de 600 carreaux de lave émaillée noire. Là, ils ont calligraphié Je t’aime plus de 1000 fois, en 311 langues différentes. Ce « Mur des Je t’aime », son nom officiel, attire les touristes amoureux depuis toute la planète romantique. Le jeu est de retrouver sur ces 40 m² la déclaration en leur langue et de se prendre en photo en-dessous. Très mignon. Même si ces touristes l’agacent quelquefois, Diégo ne peut s'empêcher un peu d’attendrissement. Ce monde manque cruellement d’amour, se dit-il, alors ne boudons pas ses manifestations, même les plus puériles.

Elle aime son travail et l'exerce à l'aune d'une vision altruiste. Sous ses comportements parfois ronchons se cache une personne généreuse. Elle aime servir, être utile à la communauté. En soustrayant à la société les méchants et les voleurs elle fait œuvre utile, à la fois pour la sécurité des citoyens, mais aussi pour la protection de ces délinquants. Car elle sait que, souvent, la transgression est liée à la misère ou au manque de culture, de culture citoyenne en particulier. Et empêcher le plut tôt possible un individu de nuire, c'est lui offrir plus de chance de s'en sortir. Ce fut toujours sa philosophie. Aussi, le commandant Thisslé s'efforce-t-elle de garder l’œil sur les suites judiciaires de ceux qu'elle « serre ».

Nous sommes donc dans l’illégal le plus complet. Qui dit illégal dit risques. Ces risquent se paient. Pour des bijoux, je ne vous offrirais pas plus de dix à vingt pour cent de leur valeur. Pour de l’or qui sera fondu et refondu plusieurs fois, je peux être plus généreux. Je vous en offre cinquante pour cent de la valeur du marché. Et je ne vous pose aucune question sur la provenance de ce lingot. Pour cette somme, je peux vous proposer cette merveille.

Diégo évite les librairies spécialisées ou les ventes aux enchères dédiées, synonymes de prix élevés. Tel un chien truffier à la recherche de la perle noire, il s’attarde à tous les stands de vide–greniers proposant des livres d’occasion, vérifie chaque carton, soulève des piles d’ouvrages sans valeur, rapproche les titres de ce qui lui semble intéressant avec la liste de ses trouvailles déjà sur ses étagères, liste qui ne le quitte jamais.

Et puis, il y a Sara. La femme de sa vie. Elle l’a envoûté avec ses yeux dorés. Voilà. Il a fait cela pour Sara. Elle est fondue d'art. C’est une encyclopédie vivante sur l'art moderne, sculpture et peinture. Elle qui n'a jamais pu s'offrir même une croûte de la butte Montmartre, lorsqu'elle vivait à Paris, passe des heures dans les galeries et les musées. Pour rien au monde elle ne manquerait une exposition d'un Richard Prince.

Ce n'est pas qu'il ait besoin d'argent, même si l'entreprise est toujours un peu sur le fil du rasoir. Les investissements doivent être continus et sont considérables, car la technologie est chère. Avec les commandes, bon an mal an, il s'en sort. Bien sûr, son compte en banque est peu alimenté par son activité professionnelle. Il se verse un salaire confortable, sans plus.

Le temps est une belle saloperie. On ne pense pas à lui, mais lui ne vous ignore pas. Presque quatre décennies après sa remise de diplôme, elle est là, et se demande tout à coup où sont passées ces années, ces projets, cette jeunesse, cet enthousiasme, cette volonté qui lui donnait des ailes, chaque matin, et des rêves chaque soir.

Le qualificatif associé au mot pot n'est en rien la trace du syndrome de Gilles de la Tourette. Mais, de temps en temps, et surtout lorsque la hauteur du mur de ses réflexions l'agace, elle aime bien jurer. C'est une libération de l'esprit. Un peu comme se moucher permet de purger les impuretés nasales.

La retraite a toujours été, pour elle, un évènement lointain, dans le temps comme dans ses préoccupations. Une idée repoussée décennie après décennie à la lisière de sa conscience. Or, depuis deux jours qu'elle a commencé à trier ses cartons, une sorte de mal-être s'empare d'elle.

Il a décidé de ne rien déclarer, de garder le secret sur sa découverte, donnant ainsi, et pour la première fois, un coup de canif à la déontologie qui présidait jusque-là à sa façon d'exercer son métier.