"Ce n’était pas de notre plein gré que nous avions quitté notre village, nous y avions été contraints. Et à présent, nous étions trop vieux pour devenir des citadins (on n’oublie jamais les vagabondages, le farniente, le rapport avec la terre), et encore trop jeunes pour vivre du passé."
L’État distribuait en effet de l’argent pour le moindre événement heureux, afin de rendre l’Empire populaire et augmenter ainsi le nombre des futures baïonnettes.
Ce fut un bien mauvais placement pour le régime, si l’on songe à ce qui allait se passer par la suite ; mais il ne me déplaît pas de considérer cette contribution comme ma première escroquerie aux dépens du gouvernement, une sorte d’involontaire baptême du feu.
En bons chrétiens qu’ils étaient, mes parents me firent tout de suite baptiser, en m’inscrivant sur les registres de la paroisse sous le nom de Salvatore Messana : un nom que les circonstances allaient me contraindre à changer bien souvent, et si maintenant encore j’use d’un pseudonyme (que le lecteur me le pardonne), c’est précisément parce que j’ai décidé de retrouver ma véritable identité.
Nous étions pauvres, mais nous avions de quoi manger.
En fin de compte, je ne garde pas un trop mauvais souvenir de ces premiers rapports avec le monde.
Il m’en est même resté une tendre nostalgie pour cette bande d’enfants bruyants et pour les affections désespérées nées d’une promiscuité que je trouve aujourd’hui intolérable, désolante.
Je ne sais si je dois lui être reconnaissant de son indéniable générosité, ou le maudire pour les remords qui me tenaillaient invariablement le lendemain ; ce qui est certain, c’est que, tout en étant un bouffeur de curés, je n’ai jamais eu le courage de voler de l’argent dans une église !
Saverio, en revanche, n’entrait pas dans de telles considérations, rien n’était susceptible de l’intimider.
Les chats ne pouvaient plus être considérés comme des animaux domestiques, étant devenus un gibier recherché au point de tendre à disparaître.
Certaines personnes affirmaient même avoir fait cuire des rats ; quant à moi, en toute sincérité, je n’ai jamais eu l’occasion d’en manger.
Trop petit et trop inconscient pour avoir réellement peur, je m’inquiétais uniquement de ne pas être oublié quand on distribuait de la nourriture.
J’avais même acquis une certaine indifférence vis-à-vis des cadavres, fréquemment détroussés par ceux qu’on appelait “les chacals”.