Un soir, le long de l’eau, elle marchait pensive,
Ayant les bras croisés et le voile baissé :
Le pré dessous ses pas était tout tapissé
De mille belles fleurs qui peinturaient la rive.
La voyant ainsi seule à soi-même attentive,
D’une soudaine peur mon sang devint glacé :
En terre, au ciel, sur l’eau la vue je dressai,
Et de tous les côtés mon âme était craintive.
Tout me faisait soupçon : les zéphyrs m’étonnaient,
Le Cygne et le Taureau toujours me revenaient,
Mais le pauvre Narcis m’effraya davantage,
Qui la voyant passer lui dit en soupirant :
« Belle, garde le bord ; si tu te vas mirant
Tu pourras comme nous embellir ce rivage. »
Je cheminai longtemps qu’il faisait nuit encore
Sous la brune lueur de l’astre décroissant,
Mais au sortir du bois l’air devint blanchissant,
Et me tournant tout court je vis le beau Phosphore.
Puis soudain devant moi vers le rivage More,
J’aperçus la beauté qui me rend languissant,
Du haut de sa fenêtre à l’envi paraissant,
Qui luisait pair à pair vis-à-vis de l’Aurore.
Je demeurai confus voyant de deux côtés
Reluire également deux égales clartés,
Deux aubes, ce semblait, qui se faisaient la guerre.
Ce duel incertain fit douter à mes yeux
Si ma Charlotte était l’Aurore de la terre,
Ou si l’Aurore était la Charlotte des cieux.
CHANSON
Rosine, si ton âme
Se sent ore allumer
De celle douce flamme
Qui nous force d’aimer,
Allons sur la verdure,
Amants gais et constants ;
Allons, tandis que dure
Notre jeune printemps.
Avant que la journée
De notre âge qui fuit,
Se trouve environnée
Des ombres de la nuit,
De vivre notre vie
Prenons le doux loisir ;
Et malheur à l’envie
Qu’offense le plaisir.
Venez, ma tant aimée,
Çà, trompons le destin,
Qui clôt notre journée
Souvent dès le matin :
Allons sur la verdure ,
Amants gais et constants ;
Allons, tandis que dure
Notre jeune printemps.