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Citation de Coco574


Quand on était fatigués de refaire le monde, on partait à vélo au Tennis club.
Mon plus grand plaisir en ce temps-là, c’était le tennis. Pourtant, je ne progressais guère : je jouais toujours avec les mêmes, mais ça m’était bien égal puisqu’on s’amusait et qu’on faisait partie des « bons » joueurs du club.
On y passait sa journée en des parties interminables qui se répétaient chaque jour sans qu’on ne se lasse jamais. Quand arrivait l’été, les belles demoiselles de Paris venaient se dorer au soleil où la population mâle les zieutait en faisant mine de s’intéresser à la partie. Les joueurs eux-mêmes avaient un œil sur la balle et un autre sur les gambettes des gamines aux jupes plissées jusqu’à ce que le soleil se cache ou que le jardinier atrabilaire vienne abaisser le filet au prétexte qu’une averse se préparait. Un dimanche après-midi à Villers-sur-Mer, Calvados, août 1951.
Une fois par an, il y avait le tournoi du club et je pouvais vérifier mon niveau : si j’étais fort en double, je ne passais pas plus de deux ou trois tours en simple. Je servais et me ruais au filet comme je l’avais vu faire par les grands joueurs de l’époque, à Roland-Garros, les Budge Patty et Marcel Bernard, mes idoles. Mais contrairement à eux et pour une raison que je ne m’expliquais pas, la balle me passait mystérieusement devant le nez, à gauche, à droite, par-dessus la tête et même au centre quand l’adversaire me visait méchamment, m’expédiant ses boulets de canon en pleine figure. La vérité, c’est que j’étais très fier d’une particularité qui se révéla être un handicap : je servais d’une main et je jouais de l’autre, et dans l’infinitésimal moment où je transférais ma raquette, l’adversaire me canardait et le point était perdu. Mais j’étais considéré, et fier de l’être.

À d’autres moments, nous allions nous promener, ma partenaire de tennis et moi. Nous roulions dans ma voiture sur les petites départementales du pays d’Auge sans autre but que d’être ensemble. Nous croisions seulement, sous le crachin normand, les machines agricoles de la France éternelle. Je me rendis compte que je ne prenais pas d’initiative ni elle non plus. Il nous fallait des prétextes pour nous toucher. Par exemple, je lui apprenais à conduire : M.-C. s’asseyait sur moi entre mes jambes et, à quatre mains, nous tenions le volant et changions les vitesses, elle riait, c’était divin. Jusqu’au jour où elle se froissa un muscle, nous sortîmes de l’auto, je lui massai longuement le mollet, je n’allai pas plus loin. Que souhaitait-elle ? Je l’ignorais. Et moi ? J’étais bizarre, pas décidé. À coup sûr, ses jambes me plaisaient : belles, hâlées, le galbe du muscle apparent, mais je n’étais pas certain d’aimer son visage. La pluie commença de tomber, mêlant d’indécises rigoles à des palpations qui m’émouvaient. Nous regagnâmes l’habitacle, elle rit, elle dit qu’elle était toute mouillée, qu’il était temps de rentrer. La possibilité d’une intimité plus poussée avait flotté dans l’air humide, puis le moment passa. Je la raccompagnai jusqu’à la porte de sa villa, son père ouvrit aussitôt, me regarda méchamment et je me retrouvai seul au monde. Ce n’est qu’une histoire parmi d’autres, pas nécessairement la plus importante.
Cette période m’aura, en tout cas, donné l’idée de mon premier livre, Un jour, une mouette, le roman d’un jeune homme sur la côte normande, qui sera publié chez Grasset en 1969 et que François Nourissier, le pape de la littérature à l’époque, apprécia suffisamment pour en faire son « rez-de-chaussée » dans Les Nouvelles littéraires. Ma mère m’offrira un exemplaire numéroté de ma Mouette, relié amoureusement par ses soins, que je possède toujours.
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