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Citation de charlinepielquin


En fait, parmi les longues listes des malheurs que l'immigration déversait sur sa tête, celui que ma mère considérait être le plus terrible à supporter - la véritable déchéance humaine - était sans aucun doute le fait qu'elle ne pouvait pas s'habiller avec raffinement. Donc, dans cet ordre d'idées, un départ pour Charleroi était pour elle une occasion exceptionnelle de sortir sa garde-robe. C'est pourquoi elle préparait à chaque fois le voyage très soigneusement et longtemps à l'avance.
Pourtant, ce jour-là, rien n'avait annoncé un départ. Pas même le bain obligatoire. Et lorsqu'on m'a dit qu'on partait voir les Zii de Charleroi, j'ai tout de suite compris que quelque chose ne tournait pas rond.
C'était un après-midi en plein milieu de la semaine, mon père n'avait pas été travailler. Il avait passé toute la matinée, avec d'autres hommes, chez Pépino a écouter la radio et à déchiffrer des journaux qu'on avait ramenés de Morlanwelz :"Qu'est-ce qu'il dit?"
- Aspetta, tu vois bien que je lis !
- Il dit qu'il y'a 2 à 300 morts !

Un silence étouffant c'était installé dans la pièce. Un de ces silences ou tout le monde attend, comme une bouée de sauvetage ou que quelqu'un l'interrompe très vite tant il te prend à la gorge. La fumée de plusieurs paquets de Mervil répandait une odeur âcre et piquante qui faisait pleurer les yeux de certains.

- Ma allez, qu'il exagère toujours ! … S'il fallait croire tout ce qu'il raconte !

- Mais qu'est-ce qu'on est venu faire ici !

- On donne des noms?

- Non! Mais il dit qu'il y'a beaucoup d'italiens.

- Moi, je retourne au pays !… Je ne reste plus ici !

- Il y'a quelqu'un qui a des parents là-bas?

- Moi, j'ai un beau-frère.

Voilà pourquoi on partait subitement à Charleroi.

1956, Marcinelle, le Bois du Cazier. Une mine s'écroule entraînant avec elle 263 mineurs dont plus de 200 sont italiens. C'était au mois d'août et je ne me souviens plus s'il y'avait du soleil ce jour-là.
Toutes les sirènes des charbonnages de la région se sont mises à gémir. l'Etoile est restée silencieuse ce jour-là. Une voiture nous a déposé à Marcinelle. C'était la première fois que je montais dans une voiture. J'ai trouvé cela très gais.
Tout au long du trajet, j'ai vu défiler devant moi des paysages noirs, des maisons sombres, des trams livides et des gens consternés.
Les sirènes de trois camions de pompiers qui passent à toutes vitesse stoppent la voiture.

Lorsque qu'on s'est arrêté une deuxième fois, nous sommes arrivés.

Mon oncle était sain et sauf. Nous l'avons trouvé sur le pas de la porte attendant je ne sais qu'elle venue présidentielle. Il m'a semblé très vieilli. A peine étions-nous entrés qu'il s'est mis à nous raconter, comme s'il voulait s'excuser d'être encore en vie.

Je n'ai plus qu'un vague souvenir de ce qui s'est passé par la suite, mais je peux dire que quelque chose avait changé à l'Etoile. Pendant plusieurs jours, les sujets de conversations tournaient tous autour de la catastrophe et on parlait de retour au pays. Pas mal avait déjà pris la décision de rentrer, d'ailleurs.

La bande de gosse de la cantine maigrissaient à vue d'oeil. Toto, mon meilleur copain a disparu un jour, tout comme Sanson et Scugnizze … Ils avaient suivi leur père qui allait reprendre, comme si rien ne s'était passé, l'élevage des cochons ou la culture des olives. La Belgique deviendrait pour eux un souvenir parmi tant d'autres, une parenthèse de plus.
Et toi, papa, pourquoi n'es-tu pas retourné aussi? Pourquoi n'es-tu pas allé reprendre ce métier de barbier qui sent si bon le savon et l'eau de toilette?
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