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Citation de Partemps


Ferrare, le 29 janvier 1933.



En voyant sur la lagune la lumière, près de mourir, baiser le vent, on pense à des libellules rasant l’eau. Cet air, de plus en plus translucide, dévoile en effet maintenant une irisation métallique.
Que de fois Dante aura-t-il suivi cette morne via Romea ! C’est sur ces routes qu’il dut débattre et préciser dans son esprit la Quaestio de aqua et terra.
C’est par cette route qu’il revint pour la dernière fois de Venise à Ravenne, après avoir défendu en vain la cause de la paix. Les fièvres qui infestaient ces terres l’avaient contaminé, et de Mesola, il se hâtait en direction de Pomposa, claquant des dents, dévoré par la maladie.
Je ne sais si, à cette époque déjà, le voyageur avait à sa droite la « vallée » Vallona et la « vallée » Giralda, ni si le sable qui les investit aujourd’hui et s’y insinue à tâtons comme doigts d’aveugle, était couvert alors de ces mêmes plantes qui imitent un étrange corail lie de vin.
Et voici le clocher carré de l'abbaye de Pomposa*, une haute et lourde lance. Tout le reste, qui est majestueux pourtant : église, monastère, Palazzo della Ragione a l’air d’un troupeau de brebis recroquevillées sur elles-mêmes au pied de ce formidable élan, symbole d’espérance dont le sommet s’illuminait, la nuit*, comme une étoile. Pomposa, dans sa fière solitude, entre la mer et les labours, au milieu de cités et de populations batailleuses, était un lieu accueillant à chacun.
Au temps de Dante, elles étaient encore toutes fraîches, achevées à peine, toutes ces images glorieuses sur les murs de l’église alors comble, du réfectoire bondé.
L’esprit qui avait conduit la main de Giotto s’était répandu jusqu’ici, et le peintre romagnol avait su lui aussi, avec une passion et une fermeté singulières, réintroduire la nature et le temps dans ses ascétiques visions.
Dante à bout de forces aura-t-il pu contempler encore ces images fidèles à ses convictions ?
Dante moribond, passant par ici, aura-t-il pu entendre une dernière fois le chant des prières, cette musique codifiée par Guido d’Arezzo dans une cellule de ce même monastère, et qu’il avait cherché si obstinément, pour se libérer de l’enfer et du purgatoire de sa chair brûlante et monter jusqu’à Béatrice, à insuffler sa poésie ?

À présent, il n’y a plus ici qu’une cour où des ombres vont et viennent au gré du soleil.
Les moines partis, on y abrita du foin, des charrettes, des houes, du bétail. Ces choses-là n’ont-elles pas aussi leur majesté ? Et ce monument ne gardera-t-il pas toujours la simplicité paysanne des villages, des maisons et des figures de Giotto ?
Des fresques qui couvraient tous les murs jusqu’au plafond, éblouissantes, il ne reste plus que des lambeaux gris de poussière.
La désolation de l’église, parmi les restes de crépi gonflé par les années, la fait paraître si vaste que je prends pour une fourmi un dessinateur occupé à recopier un motif de pavement.
Sous cette poussière désolée, que de merveilles encore vivantes ! Regardez le Baptême de Jésus : quelle candeur dans le souffle qui réchauffe le nu, et comme ils sont vrais, les membres divins, encore surpris par le don de la grâce, qui s’arrachent à la longue catalepsie de Byzance ! Ailleurs, le peintre, inhabile à représenter la marche de son personnage, lui fait croiser les jambes presque pour un pas de danse, et fouler le dragon aux pieds avec la légèreté de qui pourrait courir même sur l’eau ; et le personnage avec son buste raide comme un tronc d’arbre, prend involontairement un ton dramatique.
Regardez le Miracle de San Guido**, et vous me direz si aucun peintre moderne de natures mortes, Morandi excepté, saurait peindre une table servie avec un sens décoratif plus sobre et une plus poétique intimité.
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