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Citation de Envolume


J’ai rendez-vous avec mon cousin devant la Cathédrale Saint Patrick. C’est son idée. Pourquoi à cet endroit précisément ? Je n’en sais rien. Ça ressemble à un film policier. Il est vrai que sur le parvis, c’est impossible de se louper. Dans un café ça aurait été plus compliqué, ils se ressemblent tous. La Cathédrale, tout le monde connaît. C’est ce qu’il m’a expliqué sur WhatsApp quand j’étais encore à Rio.
J’examine les tours, j’ai lu qu’elles culminent à cent mètres de haut, je compare les portes et la rosace avec celles que j’ai vues à Venise — visitée en vitesse pour la même raison que celle qui m’a amené à New York : l’héritage.
Il y a un moment où, devant moi, Saint Patrick s’estompe, ma vision se brouille. Peut-être parce que j’ai levé la tête trop longtemps pour détailler les tours, je ne sais pas. Jérôme Bosh s’invite, comme s’il traçait les contours de l’église. Des chauves-souris indécises et hystériques entrent et sortent par le portail central. Le ciel s’assombrit, la ville s’assombrit, les immeubles alentour s’assombrissent, la cathédrale prend feu, une fleur rouge-rose dans une nuit noire. Je suis aspiré à l’intérieur, au milieu des ténèbres, du néant, de l’enfer, quelqu’un me tape dans le dos, non, je ne veux pas y aller, putain, ne me poussez pas !
Je crois que je me suis évanoui.
Je vois des visages en contre-plongée près du mien, iris aux couleurs variées, bouches, nez, je me suis toujours demandé comment rien qu’un nez, une bouche et deux yeux peuvent constituer des visages aussi différents. On m’a dit que c’était pareil avec la combinaison des mots. Là tout de suite,
c’est bien le cas. Combien de figures différentes les unes des autres me regardent, là, tout de suite ? Un bras amical me soulève, on me parle portugais : ça va mieux ? Oui, merci. Cette langue me calme, jusqu’à présent, dans cette position de soumission, je n’entendais que Oh, my God. Naturellement, c’est mon cousin ! Reconnaissable à sa barbe bien taillée, à ses yeux verts, ses cheveux blonds et lisses comme ceux de ma grand-mère, l’air un peu perdu. Il me fait penser à quelqu’un du Brésil. Évidemment, toute notre famille vient de Vénétie, tu avais oublié ? Si, si, je m’en souviens : Belluno, Venise, Trente, Bergame, tout ce coin-là. Bien sûr, Sordi, je prononce son nom pour la première fois, le même que celui de l’acteur de cinéma italien des années soixante. Lui, il dit le mien : Oui, cousin Luigi. La ressemblance avec certaines personnes de mon pays me reste en travers de la gorge, j’ai des aigreurs d’estomac, pourquoi me suis-je évanoui ? Il sort son téléphone, je vois mon visage sur l’écran. Je t’ai reconnu tout de suite, dit-il. Je déverrouille le mien, j’ai un peu de mal à me concentrer sur le clavier, finalement, Sordi apparaît, souriant, il a l’air franc comme ça, sur la photo, mais peut-on lui faire confiance ? Je l’examine, tout comme j’ai examiné les tours de la cathédrale, il baisse le regard, timide jusqu’à présent, il propose tout de suite un café dans les environs. Avant la classique poignée de mains, le jeu commence, il me prend le bras, me tape dans le dos. Est-ce que tu veux aller à l’hôpital ? Non, non, tout va bien, ça m’arrive de temps en temps, j’ai l’habitude.
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