— M’accorderais-tu une danse ?
La jeune femme s’avança maladroitement.
— Je… je ne suis pas certaine d’être à la hauteur, s’embarrassa-t-elle.
Pour elle, se mettre ainsi à nu, en public de surcroît, revenait à exposer ses failles. Elle qui chérissait la perfection dans tous les domaines se voyait là profondément désarçonnée. Elle choisit toutefois de l’envisager comme un défi et accepta la main de Zweyn.
— Et moi donc ? plaisanta-t-il. Imagine un peu le meneur de Nilud, en train de se ridiculiser en découvrant qu’il ne sait pas danser !
Cette autodérision arracha un rire sincère à Mihara, qui se laissa entraîner de bonne grâce. Bientôt, ils se frayèrent une place parmi la foule en émoi.
— Tous les regards sont braqués sur nous, s’aperçut-elle, tandis qu’ils trouvaient leur équilibre.
— En quoi est-ce étonnant ? Tu es remarquable. Il va bien falloir que tu acceptes un jour le tribut de ton mérite.
— Ils nous observent parce que c’est toi, nia-t-elle en baissant la tête, refusant de croire que quiconque puisse la considérer pour son seul talent.
Zweyn souleva doucement son menton pour l’inciter à affronter la réalité qu’elle fuyait si souvent.
— Ne détourne pas les yeux quand le monde te regarde. Observe-le en retour. De toute ton âme.
— J’ai longtemps ri quand on m’a raconté cette légende… « Et si le battement d’ailes d’un papillon, de l’autre côté du continent, pouvait transformer notre destin, ici même ? » Suivant la ligne géographique, ou celle du temps… et si les conséquences de nos ancêtres continuaient à se répercuter sur nous ? Si nos actions modelaient l’avenir de notre monde ?
— Et maintenant ?
— Maintenant… je ne suis plus sûr.
— L’as-tu rencontré ?
— Quoi donc ?
— Ce papillon dont tu parles.
Un silence s’étendit. Les mots qui suivirent désarçonnèrent profondément le garçon.
— C’est toi, Noliän.
— Veille sur lui, s’il te plaît. Je garde un œil sur Yasaelle.
— C’est rare que tu me demandes quelque chose avec une telle ferveur.
— Pas la peine de le souligner, râla-t-elle, excédée. Et à l’avenir, évite de dérober des ouvrages au sein d’un palais. C’était pas très malin.
— Sinon quoi ? feignit l’homme en haussant les épaules.
— Je te ferai bouffer une à une les pages de ce satané livre et je te préviens, ce sera loin d’être agréable…
Il avait attendu cet instant toute sa vie. Celui où les éléments s’aligneraient et s’imbriqueraient parfaitement. Et aujourd’hui, à l’aube de son accomplissement... il le redoutait.