Guy Devailly

La somme théologique du plus grand spécialiste du Berry médiéval, le Professeur Guy Devailly. Ecrite sous forme de thèse en 1972, et lauréate des plus hautes distinctions académiques, puis publiée en 1973, et dès lors c'est une référence incontournable qui s'impose, saluée par Georges Duby, par l'immense Guy Fourquin, l'éminent spécialiste de l'histoire de la France rurale au Moyen Age, et même par Schneider - son concurrent - qui rend platement les armes face au travail extrêmement novateur que Guy Devailly a consacré au rôle de l'Eglise en Berry du Xe au XIIe siècle. Cinquante ans après, le Berry de Guy Devailly est toujours considéré comme "LA" référence. Encore un record. Voici n mois que je me sers de cette étude, et je suis fasciné par les dimensions colossales de cet ouvrage aussi sérieux que lisible.

Quand un avorton stérile veut "tuer le père" pour faire croire qu'il existe - comme ce type très obscur qui s'appelle Cognassier ou Néflier ou je ne sais plus quoi -, cela donne irrésistiblement l'impression d'un roquet pissant au pied de la statue du Commandeur. Essayer d'anticiper intuitivement sur cette impression minable par des propos sur "la texturologie microspatiale des dimensions corrélées au niveau du vécu de la ruralité en médiévistique" ne fait malheureusement qu'aggraver le cas.



Le Commandeur, vous l'avez compris: c'est Guy Devailly. Inaltérable, inoxydable, unique, critiquable sans doute sur des points de détail insignifiants, mais auteur de la plus formidable synthèse jamais écrite sur le Berry médiéval. Donc irremplaçable aussi.



Ce monolithe granitique planté au milieu du champ de la recherche depuis cinquante ans ne semble aucunement sujet aux injures du salpêtre.

Certes, les mots qu'il emploie: réforme grégorienne, féodalité, etc., l'affèterie germanopratine préfère désormais les placer systématiquement entre guillemets, entre parenthèses, sous rature - ça donne l'impression supérieure d'un jugement distancié d'aristocrate stoïcien: on les emploie, mais on n'est pas dupe! Mais alors, pourquoi les employer? Réponse: parce qu'il sont si peu inappropriés, finalement, qu'on ne peut pas leur trouver d'alternative. Heureusement, les meilleurs médiévistes de la nouvelle vague: Florian Mazel, Jérôme Baschet et les autres ne font pas semblant et sont carrément revenus, sans complexe infondé, à ces dénominations. Tant pis pour les victimes de la mode, tant mieux pour la science historique.



Non, le fait réellement important, et indiscutable, c'est que le livre de Devailly est unique par son ampleur, sa densité d'informations fiables, et qu'il est par conséquent sans équivalent et irremplaçable. Tous les vrais historiens vraiment familiers du Berry, qu'ils soient des archéologues comme Gérard Coulon, de grands médiévistes comme Jacques Le Goff ou Jacques Heers, des historiens de l'art comme Willibald Sauerländer, des historiens des idées, des universitaires comme Michaud-Fréjaville, approuvent ou ont approuvé ce point de vue sans réserve.



Surtout, Le Berry de Devailly est important pour comprendre trois points à l'échelle du diocèse biturige:



-premièrement, l'évolution de la ruralité à une époque charnière, celle qui va de Philippe Ier à Philippe Auguste et consacre la naissance du pouvoir capétien,



-deuxièmement, l'évolution religieuse dans la transition entre la vieille religion et la "religion des temps nouveaux" à la faveur des progrès de la réforme grégorienne, de l'issue de la querelle des investitures de Bourges et finalement de Latran IV.



-troisièmement, l'évolution économique qui voit l'émergence de nouveaux acteurs sociaux: les notables ministériaux et autres bourgeois communaux.



Donc, en attendant mieux, ce qui n'a aucune chance de se produire vite étant donné l'état actuel de l'Université en France... un Devailly, merci. Sinon rien.