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Citation de Partemps


Un peu d’or dans la boue
I
Je me disais aussi : vivre est autre chose
que cet oubli du temps qui passe et des ravages
de l’amour, et de l’usure – ce que nous faisons
du matin à la nuit : fendre la mer,

fendre le ciel, la terre, tour à tour oiseau,
poisson, taupe, enfin : jouant à brasser l’air,
l’eau, les fruits, la poussière ; agissant comme,
brûlant pour, allant vers, récoltant

quoi? le ver dans la pomme, le vent dans les blés
puisque tout retombe toujours, puisque tout
recommence et rien n’est jamais pareil
à ce qui fut, ni pire ni meilleur,
qui ne cesse de répéter : vivre est autre chose.

II
Le temps qu’on se lève vraiment, qu’on dise
oui de la pointe des pieds jusqu’au sommet
du crâne, oui à ce jour neuf jeté
dans la corbeille du temps, il pleut.

Ô l’exacte photographie de l’âme, ces deux mots
qui nous rentrent les yeux comme des ongles
dans la chair : il pleut. Le sang de l’herbe
est vert insupportablement et c’est en nous

qu’il pleut, en nous qu’une digue rompue
voit s’effondrer peu à peu, derrière la vitre
et parmi les voilures, avec des pans de vieux
regrets, d’attentes fatiguées,
les raisons de partir et d’habiller le froid.

III
Encore si le feu marchait mal, si la lampe
filait un miel amer, pourrais-tu dire : j’ai froid,
et voler le cœur du noyer chauve, celui
du cheval de labour qui n’a plus où aller.

et qui va d’un bord à l’autre de la pluie
comme toi dans la maison, ouvrant un livre,
des portes, les repoussant : terre brûlée, ville
ouverte où la faim s’étale et crie

comme ces grappes de fruits rouges sur la table,
vie étrangère, inaccessible présent
à celui qui ne sait plus désormais
que piétiner dans le même sillon
la noire et lourde argile des fatigues.

IV
Peut-être faudrait-il tirer le rideau, laisser
le corps tout entier couler dans la fatigue
et dénouer l’entrelacs des pensées, la noire
étreinte des algues, trancher vif

avec ta propre mort, ce qui a été et qui n’est
plus, avec ce qui viendra, l’inéluctable
marée de sons et d’images que les noyés – dit-on –
n’emportent pas, laisser le temps

comme la pluie battre ton front
jusqu’à ce que tout redevienne poussière
dans la chambre du mort : on vide les tiroirs,
on balaye et par la porte ouverte la lumière
un instant se fait chair et frissonne

V
On dit : le soleil après la pluie, la mer
après la montagne, l’amour après
et partir, partir. Demain, quand tout sera,
quand tout aura, quand.

Promesses des morts si vivre est plus
qu’attendre, qu’espérer. Cendres jetées
sur le feu qui regimbe un peu puis se tait
sans consolation : la nuit

tombe, l’aube se lève, un été a passé.
Déjà, disent les fumées du hameau
tandis que des animaux sans colère continuent
d’amasser l’or du temps, l’or
de nos yeux avides et si vite fermés.

VI
Et tu finis par ranger le livre, là-haut,
à sa place exacte, ce petit creux d’ombre et d’oubli
comme le coin de terre qui te revient.
Tu reviens toi aussi

à ta place, devant la fenêtre, la table,
ce carré de neige que nul encore n’a forcé
et qui va dans tous les sens comme ta vie
parmi les mots, les morts.

Tu sais bien qu’aucun signe ne guérit de l’absence,
pas plus que le merle en tombant ne renverse
l’axe de la terre, mais tu persiste, ô scribe,
à soudoyer les anges :
un peu d’or dans la boue, dites, que la nuit reste ouverte.

VII
Si j’ai cherché - ai-je rien fait d’autre ? –
ce fut comme on descend une rue en pente
ou parce que tout à coup les oiseaux
ne chantaient plus. Ce trou dans l’air,

entre les arbres, mon souffle ni mes yeux
ne l’ont comblé – et je criais souvent
au milieu des herbes, mais je n’attendais
rien, je me disais : voilà,

je suis au monde, le ciel est bleu, nuages
les nuages et qu’importe le cri sourd des pommes
sur la terre dure : la beauté, c’est que tout
va disparaître et que, le sachant,
tout n’en continue pas moins de flâner.

VIII
Vers l’ouest, avec les derniers rayons roses,
en suivant bien la flèche sur le bas trop tendu
de la nuit qui s’est penchée pour mettre
l’avion dans sa poche, voilà

ce qui tient encore, les yeux au ciel, debout
sur ce parking où tu effiles dans le gris
tes voiles de Colomb, tes routes de la soie
et du sel et du seul, en attendant,

En attendant que tout finisse (tu dis tout
comme celui qui siffle pour garder son ombre
à ses côtés dans la ruelle obscure) tout: ce baiser
- à peine – du couchant sur les lèvres
de celle qui s’en va en te laissant le quai.

IX
Ce que j’ai voulu, je l’ignore. Un train
file dans le soir : je ne suis ni dedans
ni dehors. Tout se passe comme si
je logeais dans une ombre

que la nuit roule comme un drap
et jette au pied du talus. Au matin,
dégager le corps, un bras puis l’autre
avec le temps au poignet

qui bat. Ce que j’ai voulu, un train
l’emporte: chaque fenêtre éclaire
un autre passager en moi
que celui dont j’écarte au réveil
le visage de bois, les traverses, la mort.

X
Je me disais: il faut encore, il faut –
et les mots couraient devant moi, reniflaient
la route, le ciel, les fougères, le ventre
mal boutonné des collines

puis revenaient, me rapportant un bout de peau
calcinée, un fragment d’os: cette vieille
et toujours lancinante question
du pourquoi ici, moi, pourquoi?
– aller venir attendre comme le préposé

aux départs, qui ouvre et ferme l’horizon,
attendre l’ultime voyageur
avant de retourner l’ardoise, d’écrire
fermé pour cause de paresse;
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