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Citation de Partemps


La première fonction du procédé épistolaire, la plus connue, la mieux étudiée, est de multiplier les points de vue, et de permettre du coup au lecteur de repérer comment un même acte est perçu par des personnages différents : l’exemple classique, ici, est celui de l’aumône « mise en scène », de la charité feinte, épisode raconté à la fois par Valmont (lettre 21) et par la Présidente (lettre 22) : mais il faut noter, pour être précis, que l’effet du procédé (contrairement à d’autres récits à « vision plurielle », comme ceux de Faulkner) n’est pas de suspendre le jugement, ou de relativiser la vérité, puisqu’il est clair ici pour le lecteur que l’un des points de vue relève de la maîtrise de la situation, et l’autre de l’aveuglement ; aucune indécision ou incertitude ne peut résulter d’un tel contraste explicite entre la vision du « piégeur » et celle de la « piégée ». L’autre fonction majeure de la technique épistolaire est d’organiser la diversité des voix, — et la « préface du rédacteur », chef-d’oeuvre d’ironie, souligne bien (pour racheter le défaut prétendu d’un « intérêt de curiosité » situé bien au-dessous de « celui du sentiment ») (!) la « variété des styles » qui qualifie un tel livre. Il est clair que Laclos excelle dans cette variété, qui fait que non seulement chaque lettre nous renseigne sur celui qui raconte autant que sur ce qui est raconté (fonction classique du procédé), mais encore que chaque personnage, singulièrement, est défini par la façon dont il parle et écrit. Qualité romanesque essentielle, — passablement négligée, par exemple, à la même époque, par Sade, dans les livres duquel, en dehors des « victimes » caractérisées, les libertins usent peu ou prou du même style ; dans Les Liaisons dangereuses, à l’inverse, chaque personnage s’identifie à son langage (Grimm, dès la parution, l’avait noté : « Il n y a pas moins de variété dans le style de ces lettres qu’il n y en a dans les différents caractères des personnages que l’auteur fait paraître sur la scène » [15]) ; au point que si chaque lettre n’était pas, comme c’est le cas, précédée du nom de son rédacteur, il suffirait d’en lire trois lignes pour savoir sûrement à qui l’attribuer. Ainsi, selon un principe qui sera plus tard porté par Proust à son sommet, chaque personnage, ici, apparaît comme un être de langage : précision, ironie et élégance de la Merteuil ; vivacité et clarté intellectuelle de Valmont, peu à peu dégradées par le ton « passionné » ; exaltation sentimentale niaise et stéréotypée de Danceny ; naïveté brouillonne et spontanée de Cécile ; lucidité amusée, sagesse bienveillante, tact, politesse un peu désuète, chez Madame de Rosemonde ; surabondance des clichés de la bien-pensance et de la modestie « convenable » chez la Présidente de Tourvel, où va progressivement s’infiltrer le ton de l’émoi, puis de l’égarement, jusqu’à l’emphase pathétique et incohérente de son délire final ; traits de caractère, au total, autant que de style [16].
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