Guyette Lyr

A l’école de Théâtre Jacques Lecoq, le clown a été mon maître, m’apprenant à raconter des histoires avec mon corps, il m’a donné la force d’oser en écrire et m’a conduite de l’écriture dramatique au roman. Je crois que ce personnage donne substance aux personnages qui habitent mes livres.

Je suis née dans un train entre la France et l’Italie, j’en ai gardé l’amour des frontières, la crainte et l’envie de les passer.

J'ai rappelé la consigne : ne rien s'offrir sur place, garnir le sac et peut-être les poches, rallier au plus vite les sous-fifres en attente dehors.
Il a dit :
- Cool, marquise, quand un saint te tend la main, faut pas se faire mécréant !
Il a débouché une bouteille et pour rester en haut registre m'a priée de me servir avant lui.
Le vin console de la trouille.
J'avoue que j'ai bu plus que largement.
- OK, ma jolie, plus tard on fera mieux.
Il a répété ma jolie, comme il faisait quand on se côtoyait, en me caressant la joue du revers de la main. La compagnie du grand cru lui mettait dans les yeux une bonté dans laquelle je me sentais incluse. C'est de la bonté, jointe à l'alcool, qu'est venue la bourde et la mal ensuite.
Tenue depuis des mois en service commandé par le service du checkpoint, obligée de le garder chaque nuit en infantilisme, de consoler son fantasme avec biberons et bercements, je n'avis plus de ressenti propre ni même l'envie d'en avoir. En me caressant la joue avec un geste antique, et bien que sa tendresse vise le vin plutôt que moi, le Caviste m'a ramenée au sensible. La chaleur de son épaule a rejoint l'endroit où le sexe se prend pour le cœur. J'ai laissé sa main approcher et ses doigts se refermer sur l'ourlet de ma jupe.

Enfant de deux langues, les mélangeant, les confondant, me méfiant des mots et les révérant, j’ai appris à observer ce qui se joue entre eux, derrière eux. Je me suis intéressée au silence qui crée leur musique.