HAMIDA SOBIHI

Et s’il y a bien un sujet à éviter avec elle, c’est le mariage. Elle est arrivée, au fil de ces dernières années, à créer ses propres conclusions quant aux raisons de mon célibat. 
    -     Théorie 1 : J’ai le mauvais œil et la jalousie des voisines et des cousines parce que    je suis jolie et je m’habille bien. Ouais, l’excuse à deux balles !
-        Théorie 2 : J’ai été ensorcelée par une sœur de ma mère pour que les hommes me repoussent. Euh, bonjour l’ambiance dans la famille !
-        Théorie 3 : Celle-là c’est la pire, elle n’en parle jamais devant moi parce que ça risquerait de me faire flipper, mais il paraîtrait que j’aurais une tripotée de sheitane-hommes qui ont investi mon corps.

Quand je dis « mal », je suis loin du compte. Dans la famille douleur, je demande le chagrin, le déchirement, et la souffrance puissance mille. Il m’a buté le cœur avec une kalache silencieuse, l’a laissé pour mort et a enterré mon orgueil dans l’indifférence générale. Il y a des ruptures brutales qui peuvent être fatales et cadenassent vos rêves de mariage, gosses et monospace, tiercé gagnant de toute bonne fille qui se respecte et qui vit en ce bas monde. Je fais partie de ces quelques élues que j’appellerais les bannies de la matrice. Je suis de celles qui ne parviennent pas à voir le bon gars quand il pointe le bout de sa chemise bien repassée. Difficile d’entrevoir une proposition intéressante quand on a le discernement aussi développé que l’économie formelle dans un pays du tiers monde. Pire, je suis officiellement une incompétente en sentiments, incapable de saisir une belle opportunité, même servie sur un plateau d’argent.

J’ai le chic pour la faire culpabiliser comme personne : je sais que quand la colère redescend, ma sœur, hypersensible, s’en veut tellement qu’elle pleure à chaudes larmes. Elle se sent la dernière des crétines d’avoir cédé à ses pulsions démoniaques, et moi j’ai le don de lui lustrer ses jolies cornes. 
Je sais que je suis vache parfois, et que je devrais arrêter de la pousser à bout alors qu’elle est à cran en ce moment, et en très mauvaise posture sentimentale. Mais c’est plus fort que moi, elle m’exaspère. C’est une capricieuse qui ne se rend pas compte de la chance qu’elle a d’avoir un homme aussi gentil auprès d’elle. C’est un homme qui l’aime à tel point qu’il lui est totalement dévoué. Je le trouve hyper patient, et grossièrement aveugle en passant, pour trouver tant de qualités à cette égoïste de Shayma.

Depuis quelques temps, ma mère, s’est donnée la dure mission de me mettre sur le droit chemin, en éprouvant mes nerfs déjà à fleur de peau, et ce dès les premières lueurs du soleil. Lui résister serait perdu d’avance. J’en ai déjà fait les frais durant les affres de mon adolescence, au cours de laquelle j’ai voulu esquisser une pseudo rébellion. Cette tentative de soulèvement a très vite été tuée dans l’œuf. Exit les mèches de couleurs, les « euh maman je t’ai pas causé d’accord !! », les « je peux aller dormir chez ma copine ? », « c’est bon tu me lâches, ok ? » ou enfin « rien à foutre de mes devoirs et de l’école, moi ce que t’as pas compris c’est que je vais faire le buzz, ok ? » J'avais compris, valait mieux pas tenter : une main pouvait être découpée pour bien moins.

L’imagination est un art que je pratique depuis l’enfance. Petite déjà, j’alignais mes nounours et poupées que je coiffais et apprêtais pour l’occasion et que j’installais devant moi, et le show pouvait commencer. Je leur jouais mes meilleures scènes de dessins animés du club Dorothée, parfois pour quelques représentations, et en échange d’une boule magique ou d’un Carambar, Nico venait m’applaudir, avec la motivation d’un petit garçon qui adorait les friandises. Ma mère adore me rappeler que souvent je jouais à la princesse qui avait une valise remplie de crayons de couleurs et coloriait tous les nuages en rose, pour que tous les habitants du monde entier intersidéral qui lèvent les yeux voient la vie en ….rose .

S’attaquer un enfant c’est bas et vilain aux yeux de cette société de faux-culs, car qui n’a pas un jour rêvé de mettre deux baffes à un petit con infect dans un rayon à Auchan, histoire de lui faire réviser deux ou trois principes d’éducation? Non, les gens préfèrent être outrés, offusqués, juges, choqués que l’on puisse s’en prendre à un morveux insupportable et irrespectueux. Je vous le dis, aujourd’hui tout fout le camp ! Où sont le bâton du maître d’école, le bonnet d’âne et le martinet des darons, en lanière de cuir qui nous striait le derrière ? Les traditions se perdent, c’est dingue ça, et les gifles aussi !

Chaque jour passé auprès de toi est différent et ne se ressemble pas. T’es rentrée dans mon cœur dès le premier instant où j’ai croisé ton regard. Mes sentiments grandissent de jour en jour et  je… je t’aime comme un fou, plus le temps passe et moins j’envisage de passer encore un instant de ma vie loin de toi. Aujourd’hui j’ai plus envie de perdre un instant, je veux qu’on avance ensemble et que tu deviennes ma….

C’est chiant de vivre avec une personne qui essaie de trouver un sens dans chaque chose. D’après elle, tout est dans l’œil de celui qui veut bien regarder. Et pour elle, je suis (et je cite) : « myope, borgne, ti vois rien di tout, walou, ti es une aveugle de la vie ! »

C’est le comble, moi qui crève de jalousie, voilà qu’elle, ça la fait marrer que je sois sortie avec lui, comme si j’étais insignifiante et que je ne lui faisais pas peur pour un sou. Purée la vie est vraiment injuste, c’est horrible à la fin de se sentir si misérable.