Notre relation est un champ de mines, le moindre faux pas entraîne une explosion.
Et la nuit, nous sommes tous beaux. La nuit recouvre tout d’un voile irisé. Tout est permis dans l’amnésie de l’alcool, le lendemain n’existe pas, seul l’instant présent compte. La nuit, nous sommes tous beaux et l’alcool nous rend heureux. On ne voit pas les cernes noirs sous les néons des boîtes de nuit, les imperfections de la peau, les lèvres gercées, les pupilles dilatées, abêties. Et puis, quand le soleil se lève, la lumière cruelle fait apparaître les teints hâves, le manque de sommeil, la sale gueule du lendemain de soirée et les tourments reviennent nous hanter.
En 1782, les liaisons étaient dangereuses. Aujourd’hui, elles sont factices. C’est la grande maladie de ma génération – la génération Y –, gavée de culture trash et de porno qui sacralise le « plan cul », les friends with benefits, qui a pour sacerdoce la consommation et qui glorifie la multiplication des conquêtes. En quatre siècles, on est passés du baisemain au « baise-moi », contaminés par le virus du désengagement qui se répand insidieusement, dégommant les cœurs dégoulinants.
Les baisers se font plus sensuels, les caresses plus lascives, l’effeuillage plus poussé, le désir plus brûlant. Les rires contenus deviennent retentissants et les matins éclatants. Nos corps coïncident, nos bouches s’épousent. Pendant des mois, me confier, baisser ma garde, ouvrir mon cœur, me déshabiller et faire l’amour avec un homme, tout ce voyage sentimental et émotionnel me paraissait insurmontable, comme une traversée en bateau lorsqu’on a le mal de mer.
Passant la porte d’entrée, je me fonds dans l’obscurité crasseuse de
Pigalle. Deux types qui se bousculent vigoureusement. Un toxico qui enfonce une aiguille dans la chair molle de son bras. Un marginal au visage flétri, regard halluciné, qui pisse sur le bitume, la bite à l’air. La lie humaine révélée par les ténèbres, comme les zombies claudicants d’un bouquin de Stephen King.
Si sept ans est l'âge de raison, alors vingt-sept est celui de la désillusion. Je suis trop jeune pour être raisonnable et trop vieille pour être responsable. C'est peut-être pour ça que Jimi Hendrix, Jim Morrison, Janis Joplin, Kurt et tant d'autres sont morts à vingt-sept ans. C'est l'âge charnière auquel la pression des conventions sociales devient forte.
Et, en tant que femme, les diktats de la société sont particulièrement cruels. En effet, les hommes trentenaires échappant à l’équation fatale « bedaine en plus et cheveux en moins » atteignent l’âge d’or. Ils se bonifient tandis que les femmes ont le sentiment de décliner, les ovaires en furie.
Mais que sont devenus les Chateaubriand, les Baudelaire qui pouvaient mourir pour leur muse ? On a ringardisé l'amour, on a bâillonné le lyrisme des déclarations enflammées, on a censuré les sentiments. Merde alors, moi qui rêvais de romantisme, je suis peut-être née à la mauvaise époque.
Je serai donc célibataire et affranchie des chaînes de l’abjecte dépendance. Le revers de ma liberté absolue ? Une cohabitation forcée avec un monstre qui flottera constamment au-dessus de ma tête : la crainte de la solitude éternelle.
On cautérise son cœur comme on peut, à l'aide de ressources insoupçonnées, parce que même en l'absence de l'être aimé, la vie continue.