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Citation de Partemps


Hector de Saint-Denys Garneau
La Barrique De Bière.

Maître Gaston Larose fut appelé à embaumer un mort dans les temps
chauds d'une fin de juillet. Le voilà qui se met en chemin avec
deux assistants, après avoir bu quelques bonnes rasades de cidre.
Ils arrivent et on les enferme dans la chambre du mort. Il fait
chaud, terriblement: ces messieurs se boucheraient le nez s'il
n'avaient pris cette bonne rasade avant de partir. Mais rien ne
les occupe plus maintenant que leur devoir. Monsieur le défunt qui
sent un peu fort en cette triste circonstance est un gros
bourgeois de deux cent cinquante livres environ, bedonnant au
possible.
On se met à l'ouvrage. Il faut le bien arranger pour le conserver
deux jours de plus, pour un voyage, son dernier avant celui du
cimetière, jusqu'à la prochaine ville. Maître Larose prend une
décision énergique. Pour le conserver ainsi il faut absolument
dégonfler le gros bedon de Monsieur de son triste contenu. Voilà!
c'est terminé. Mais Maître Larose en étant énergique ne fut guère
prévoyant. Il va falloir remplir le ventre de Monsieur et Maître
Larose n'a rien pour ce faire. Il a beau chercher, regarder
partout, il ne trouve rien! Personne ne peut sortir de cette
chambre, sans occasionner une irruption de parents qui leur
tomberaient dessus en coups de bâton en voyant le pauvre mort si
terriblement maigri, lui qui avait l'air si bien portant avec son
bedon gonflé. Et Maître Larose, pas plus que ses assistants, n'est
prêt à envisager une bastonnade, malgré leur bonne rasade d'avant
le départ. Or, l'œil exercé de l'entrepreneur découvre dans le
coin de la chambre une toute petite, toute mignonne barrique de
bière, rebondie, bedonnante, et toute petite, toute mignonne. On
frappe sur la barrique, elle est pleine. L'affaire est décidée.
Nos trois tristes hommes débouchent la barrique et en boivent avec
volupté le contenu. Cette opération terminée après une demi-heure,
une autre commence. On regonfle le ventre de Monsieur avec la
barrique toute mignonne et quelques morceaux de draps enlevés au
lit, ce qui redonne à Monsieur son bon air de santé. La cérémonie
achevée on se disperse.
Voilà pourquoi le bon gros Jean quand il est venu chez sa tante,
femme du défunt, pour réclamer sa petite, toute petite, toute
mignonne barrique bedonnante, emplie de bonne bière, qu'il avait
laissée là pour qu'on la garde quelques jours parce qu'il allait
acheter une maison nouvelle, voilà pourquoi le bon gros Jean eut
beau chercher partout, il ne retrouva jamais sa gentille barrique.
Car il n'eut jamais eu l'idée de la chercher où elle était: encore
il l'eût trouvée vide.

de St-Denys Garneau,
Ce dimanche 25 mai 1930.
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