La honte, autant que la peur, encore plus que la peur. Parce que la crainte des malfaiteurs se faisait moins mordante, comme un peu diluée. C’était la peur d’affronter les réactions de ceux que j’avais abandonnés qui me rongeait davantage. La peur de découvrir ce qu’ils étaient devenus. La peur de me faire dire: «Reste où tu es, va où tu veux, on se débrouille mille fois mieux sans toi!» La peur d’être rejetée, à mon tour.
Ils se couchaient à la même heure. Si Hugo se levait, Yannick le suivait. L’un ne partait jamais sans l’autre. Pour les bons coups comme pour les mauvais. Pour le meilleur et pour le pire. Et n’essayez pas de savoir qui était le coupable quand ils avaient commis un méfait. Ils se jetaient un regard complice et chercher à connaître la vérité était peine perdue. Ils acceptaient les réprimandes en double, ils subissaient les punitions en double, comme si partager leurs peines les rendait moins douloureuses. Et ils divisaient les friandises en parts égales. Ils se chamaillaient tellement rarement que j’en étais venue à me demander s’ils étaient normaux. C’était le calme avant la tempête.
Comme je reculais vers la rue, une vague de nostalgie m’envahit. J’immobilisai la voiture et fixai ma porte d’entrée. Pour me ressaisir, je pensai à Jean-Michel. Je ne lui avais pas parlé, finalement. Il ne savait pas ce que j’avais fait. Le saurait-il jamais? Il aurait désapprouvé. Mais le temps où il pouvait me convaincre d’agir à sa guise ne reviendrait jamais. Même les hommes les plus adorables prennent un goût d’amertume avec les années. Ou serait-ce que nos papilles se réveillent dans la trentaine?
Notre histoire commune était terminée depuis dix ans. Et, depuis ce temps, nos enfants adorables s’étaient transformés aux yeux de plusieurs en adolescents méprisables…
L’ignorance et le doute sont une sentence imposée à des innocents. Je ne pouvais pas faire ça. L’idée de partir sans dire au revoir à mes fils était trop lourde à porter. J’avais voulu leur offrir la meilleure éducation et l’accès aux meilleures choses de la vie, mais c’était mon rêve et non le leur. J’ouvrais les mains une dernière fois pour les aider à s’envoler de leurs propres ailes.
On se demande souvent si on a fait les bonnes choses, si on a pris les bonnes décisions. Celle d’investir dans des appartements que je louais depuis presque dix ans s’était avérée judicieuse. Ils étaient maintenant libres d’hypothèques et leur valeur avait monté en flèche.
Ce conducteur devait bien être le centième à me dépasser. Et loin d’être le premier à me jeter un regard mauvais accompagné de gestes rageurs. Jamais reçu autant de doigts d’honneur! Qu’est-ce qu’elle fait, la mémé, sur l’autoroute à 80 kilomètres/heure? Et chacun de ceux qui s’étaient retournés pour voir qui conduisait cette VW à la vitesse d’une tortue m’avait causé une frousse. Me cherchait-il? Avait-il trouvé celle qui tentait de s’échapper? Voyons, si j’avais essayé de me sauver, j’aurais roulé à fond de train. Idiot! Mais ça ne m’empêchait pas d’avoir la trouille.
La romance me faisait défaut. Notre mariage était comme une soupe qu’on a tellement allongée qu’elle n’a plus que le goût de l’eau. Inconsciemment, j’étais peut-être à la recherche d’un ingrédient pour en raviver la saveur. Pour empirer les choses, mon travail consistait à traiter avec des chefs, qui, pour la plupart, dans la ville de Québec, étaient d’origine française. Mais nous n’échangions pas sur le même plan, pas au même niveau. Comme à la maison.
Tout le monde a ses problèmes, à chacun les siens. Je savais ça. Mais je savais aussi que je n’avais pas trouvé de solutions pour les miens. Ils allaient de mal en pis, malgré mes tentatives pour les résoudre. C’était comme tenter de rattraper une sauce qui a formé des grumeaux. Peine perdue. On prend une casserole propre et on repart à zéro.
C’est une chose de se raisonner et c’en est une autre de contrôler les émotions imprégnées dans son cerveau.
Un baiser n’attendait pas l’autre, bécots, bisous, bécots, du travail à la chaîne, jusqu’à atteindre le summum du french kiss.
On ne voit pas toujours venir la tempête.