AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Hélène Martin (2)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées
Nouvelles questions féministes, vol. 32(2)/20..

De l’invisibilisation : parce que ce travail est toujours présent



« Mobilisant des savoirs, des dispositifs d’aide et de contrôle, ainsi que des normes et des valeurs morales en vue de réguler des comportements et des situations jugés problématiques, les pratiques du travail social comportent nécessairement, et sans doute prioritairement, un aspect de (re)production normative »



Hélène Martin, Marianne Modak et Véréna Kellerproposent « de mettre au jour la dynamique de l’émancipation et de la normalisation qui caractérise le travail social ».



La professionnalisation du travail social ne peut être analysée hors de « l’imbrication des rapports de domination », d’autant que la valorisation de l’individu-e, dans la société néo-libérale, tend à la/le rendre responsable de sa situation socio-économique.



L’analyse féministe du travail social permet de spécifier les fonctionnements concrets et les contradictions à l’œuvre dans les « politiques d’activation », de « responsabilisation ». Les éditorialistes nous rappellent que « les présupposés des politiques d’activation posent que les individus sont, individuellement et égalitairement, soumis à un devoir d’autonomie et de responsabilité. Or, l’autonomie, entendue ici sous l’angle économique, est plus aisément accessible à un individu déchargé d’obligations pour autrui et, surtout, du travail domestique ». Il faut donc continuer à critiquer la prétention universaliste et l’androcentrisme de cette norme.



L’oubli des rapports sociaux réellement existants, de leurs asymétries, des relations de pouvoirs, invisibilise des conséquences de politiques d’activation qui renforcent de fait « la division sexuelle du travail puisqu’elle repose sur la négation des inégalités entre hommes et femmes dans l’emploi et dans la famille ».



Comment ne pas souligner aussi « l’indisponibilité » socialement construite et acceptée des pères, les processus d’individualisation et de psychologisation des problèmes sociaux.



« De fait, lorsque ces professionnel·le·s sont confronté·e·s aux normes d’activation et aux inégalités réelles, cette marge de manœuvre peut les conduire à l’alternative suivante : soit viser l’autonomie économique de la personne par sa réinsertion sur le marché de l’emploi, tout en sachant que celui-ci est discriminant pour les femmes notamment au plan salarial et que, chez celles qui sont également mères, l’insertion se traduit par une double journée de travail en raison de leur assignation au travail domestique ; soit prendre en compte l’appartenance sociale de sexe, considérer les usagères et usagers à partir de leur statut familial et alors « protéger » les mères de jeunes enfants contre le marché du travail, au prix de leur autonomie. On est là face à une impasse car, quelque soit le choix opéré, il renforce les inégalités de genre et contrevient à la norme constitutionnelle d’égalité, sans être pour autant réellement satisfaisant au plan de l’autonomie économique ».



Et les auteures ajoutent en présentation des textes du Grand angle : « Comme tout autre espace de pratiques, l’action sociale se constitue au travers de postures diversifiées, parfois conflictuelles, réactives, résistantes,transgressives ou innovantes, ce que l’ensemble des articles montre également ».



Quelques éléments choisis subjectivement dans certains articles.



Marion Manier dans « Les missions de « proximité » en question : places et postures des intervenantes sociales minoritaires » se propose de « montrer comment se manifestent empiriquement les ambivalences de ces fonctions de proximité ethnique et de genre dans le secteur de l’intégration destiné aux femmes ». L’auteure analyse cette proximité fondée sur des « représentations traditionnelles de genre », sur une ressemblance liée à la caractérisation de « femmes minoritaires », sur des « représentations ethnicisantes attribuant à ces intervenantes des qualités intrinsèques à ce qu’elles sont ou représentent ».



Marion Manier met en avant la proximité partagée entre ces professionnelles et les publics (exil, migration, isolement, etc.), bref « au vécu de la différences ou des discriminations en tant que femmes minoritaires ». Elle montre que les postures des intervenantes sont hétérogènes, « les assignations, qu’elles partagent en partie avec les publics, les conduisent à se positionner (y compris par l’indifférenciation), à réagir à certaines représentations qui les impliquent elles aussi, voire, en dernière limite, à « choisir un camp ». » L’auteure conclut sur certaines formes d’accompagnement alternatives, de déplacement des frontières « lorsque la mission de proximité laisse place à une résistance commune à l’altérisation », soulignant ainsi les possibles de l’action collective brisant les impératifs contradictoires du domaine professionnel, et permettant l’élaboration de réponses communes à la minorisation partagée.



J’ai particulièrement apprécié l’article d’Isabelle Courcy et Catherine des Rivières-Pigeon sur « Intervention intensive et travail invisible de femmes : le cas de mères de jeunes enfants autistes et de leurs intervenantes ». Les auteures analysent les problèmes de gestion quotidienne, la lutte pour obtenir des services, le travail invisible, la co-thérapie, l’absence des pères, l’assignation dans les rôles de mère, la disponibilité de chaque instant, le sentiment d’urgence, la confrontation « à des modèles de maternité qui se révèlent souvent irréalistes ou contradictoires », le travail d’accompagnement, la non reconnaissance du poids de l’émotionnel, sans oublier les effets sur la situation de l’emploi ou les regards, les jugements d’autrui. Elles indiquent : « Le caractère invisible du travail des mères et des intervenantes dans le contexte de l’autisme soulève ainsi la nécessité de le faire connaître tout en faisant également apparaître la division sexuelle du travail sur laquelle repose son invisibilité au sein des familles et dans la pratique du travail social ».



Louise Boivin, dans « Réorganisation des services d’aide à domicile au Québec et droits syndicaux : de la qualification à la disponibilité permanente juste-à-temps » analyse, entre autres, la structuration du champ professionnel par les rapports sociaux de classe, de sexe, de « race » et d’age. Elle souligne aussi que l’expérience acquise (de ce qui est nommé care) dans la sphère familiale, dont l’apport est très apprécié, n’est néanmoins non reconnu comme une qualification professionnelle, que les emplois précaires sont majoritairement occupés par des travailleuses immigrées racialisées et que leur diplômes acquis à l’étranger ne sont pas reconnus. Il y a une double négation de la qualification, par la naturalisation des taches assignées aux femmes, lorsqu’elles ne sont pas invisibilisées, et par la non reconnaissance des diplômes. Sans oublier la fragmentation des taches, « la disponibilité permanente juste-à-temps » et des horaires par l’externalisation et la sous-traitance d’une partie des services publics d’aide.



Marianne Modak, Françoise Messant et Véréna Keller, avec la collaboration de Myriam Girardin présentent les résultats d’une recherche sur l’aide sociale en Suisse romande dans « Les normes d’une famille « juste » dans les interventions des assistants et assistantes sociales de l’aide sociale publique »



Elles nous rappellent que « l’autonomie financière du groupe familial n’exige aucunement que l’homme et la femme dans le couple possèdent tous les deux leur indépendance financière ». Je ne sais pour la Suisse, mais en France le maintien de l’imposition familiale et le refus de l’imposition unipersonnelle contribue, sous couvert de la valorisation de la famille, à dénier aux femmes leur autonomie fiscale, leur autonomie financière.



Les interventions de l’État concerne des individu-e-s formellement égales/égaux, niant la division sexuelle travail, les rapports sociaux de sexe asymétriques. La confusion existe en permanence entre femme/épouse/mère et homme/époux/père, une confusion naturalisant les assignations genrées et les rapports de domination.



La famille, ce lieu des invisibilisations, de la violence, du travail domestique et familial, du souci de ceux-ci, (très majoritairement à la charge des femmes, les hommes se dispensant et de les effectuer et de s’en soucier), est « l’univers par excellence de reproduction du système de genre ».



Les auteures analysent « cinq registres d’intervention de l’aide sociale publique » : légalisme, responsabilité individuelle, complémentarité des rôles de sexe, saisie des opportunités, promotion du père. Je souligne l’intérêt de ces recherches. En conclusion, elles articulent, entre autres, la nécessaire prise en compte de « l’interdépendance entre les univers privé et professionnel » et les conditions pour que « les lois en faveur des pères ne participent pas d’une défense des privilèges masculins ».
Lien : https://entreleslignesentrel..
Commenter  J’apprécie          40
Sexuer le corps

Des pratiques et des normes, la construction de corps sexués



« Aussi, en contribuant à une sociohistoire des pratiques médicales de sexuation du corps et de la sexualité en Suisse, cet ouvrage permet également de documenter par la marge et d’éclairer à partir d’un nouvel angle des savoirs institutionnalisés qui n’en sont pas moins, eux aussi, spécifiques. »



Dans leur introduction, « Pour une sociohistoire des pratiques de sexuation du corps et de la sexualité par la médecine en Suisse » Hélène Martin et Marta Roca I Escoda abordent, entre autres, la remise en cause de savoirs sexistes sur le « sexe », l’absence de « vérité naturelle » sur les corps, les discours et les pratiques médicales sur les corps et les sexualités, l’histoire des savoirs médicaux et l’argument de « la détermination biologique de la différence des sexes », les normes construites de la sexualité féminine, « Les huit chapitres de cet ouvrage analysent différentes constructions médicales du corps et de la sexualité en portant leur attention sur les processus de sexuation et de pathologisation, sur les circulations et les appropriations de théories et modèles dont elles relèvent ainsi que sur leurs effets sur les personnes directement concernées, lesquelles adhèrent plus ou moins aux traitements qui leurs sont proposés »…







Table des matières



Pour une sociohistoire des pratiques de sexuation du corps et de la sexualité par la médecine en Suisse



I Des testicules au cerveau. Convertir chirurgicalement Un corps homosexuel (1916-1960)



L’expérience de Steinach et Lichtenstern (1916)



La fabrique d’un corps homosexuel



Les « sécrétions internes » comme des agents de jouvence du corps masculin



Les expériences de Von Orthner au cours des années 196



Conclusion



II La fabrique chirurgicale du sexe. Une histoire de la sexuation des corps trans en Suisse romande (1940-1960)



Changer de sexe : de la salle d’opération au tribunal



Des pratiques clinique et juridique en construction



Expertiser des sexes et construire une norme sociale et chirurgical



Les médecins et l’idée de transition



III Du sexe génital au sexe subjectif ou les reconfigurations du dimorphisme sexuel



Du Sexe génital..



… Au sexe subjectif



Conclusion



IV La sexologie américaine Made in Switzerland : naissance d’une clinique des troubles sexuels (Lausanne, 1950-1980)



Introduction et éléments de « préhistoire »



Traiter le couple « à l’américaine » : quoi de neuf docteurs ?



Sur le terrain de la thérapeutique : autres conditions de possibilité et opportunités



V Le jeu de l’amour et du déterminisme : Compréhensions expertes et profanes du désir des femmes



De l’intimité avant tout : cycle savant du désir, circularité du raisonnement et recyclage du sens commun



L’appétit vient « en mangeant : le discours expert



« Ce soir, il va falloir le faire » : l’expérience du manque de désir sexuel rapportée sur des forums internet



Conclusion



VI Pratiques sous surveillance : le vécu de la prescription de contraception féminine en suisse romande



Standardiser, normaliser : produire des corps contraceptés



Résister aux effets de la normalisation



Remarques conclusives



VII La grossesse, une affaire de femmes ? Enjeux de genre dans la prévention de la consommation de tabac et d’alcool auprès des futurs parents



Tabac et alcool pendant la grossesse. Questions de santé, questions de morale



Faire de la prévention, construire des rôles sexués



Foetus vulnérables, femmes responsables,



Conclusion



VIII La fabrique des corps sexués Entre médicalisation et pathologisation : La place du corps dans les Trans Studies en France



Ce qui est fait aux corps trans



Ce que font les corps trans de ce qui est fait d’eux



Conclusion



Conclusion







Je n’aborde que certains articles.



Il me semble important de revenir sur les « conversions chirurgicales » des « corps homosexuels ». Les ré-assignations corporelles se poursuivent dans bien des pays, en particulier pour les personnes intersexuelles. Des pratiques médicales et des inscriptions dans les législations… Cela devrait aussi nous interroger sur cette « science médicale » et ses points de vue politiques (n’oublions pas la participation des médecins à la définition biologique des races)…



J’ai notamment apprécié Le jeu de l’amour et du déterminisme : Compréhensions expertes et profanes du désir des femmes. Marilène Vuille aborde, entre autres, les représentations asymétriques de la sexualité, la réduction de la sexualité des femmes à « une sexualité qui trouve sa finalité dans le rapports à l’autre, et qui s’oppose à la sexualité masculine bien plus résolument biologique et dotée d’une finalité intrinsèque », les modélisations autour du désir qui ne prennent pas en compte le rapport social inégalitaire entre les sexes, les prescriptions comportementales, les discours expert autour de « l’appétit vient en mangeant » qui de fait légitiment les actes non consentis au nom de l’« éveil » des femmes à la sexualité, les débats autour du manque de désir sexuel et l’angle individualisant oubliant le/la partenaire, les effets du « sentiment d’injustice lié au non-partage des tâches ménagères et de la responsabilité vis-à-vis des enfants en bas âge », les chantages à la rupture, l’idée de besoins sexuels masculins irrépressibles, les bornes « de l’espace de jeu dans lequel le désir sexuel des femmes est censé se déployer », les liens entre désirs et autonomie, les normes de satisfaction et de la fréquence des rapports sexuels… sans oublier les modalités du désir…



Je souligne l’article sur les vécus des prescriptions de la contraception, le processus de médicalisation, la construction d’une vision pathogène du corps des femmes, la responsabilité non partagée des hommes envers la contraception, la régulation des conduites corporelles, la standardisation et la normalisation, l’asymétrie dans la relation de pouvoir entre médecin et patiente, les normes esthétiques et leur caractère fortement sexué, l’injonction à la minceur et la stigmatisation des corps « gros », la valorisation d’un corps désirable et « destiné au regard masculin », les résistances de femmes et la remise en cause des savoirs des gynécologues…



En conclusion, Hélène Martin et Marta Roca I Escoda reviennent sur les recours de la médecine – hier comme aujourd’hui – « à des technologies de sexuation du corps et de la sexualité extrêmement variées », la conformation aux normes de sexe, les mutations « dans le système d’opposition entre nature et culture »… Elles rappellent que « L’ancrage des femmes dans la nature a permis leur aliénation et leur domination via différentes pratiques de pouvoir et de domestication » (En complément possible, Colette Guillaumin : Pratique du pouvoir et idée de nature – (1) L’appropriation des femmes et Sexe, race et pratique du pouvoir. L’idée de nature)

Les autrices parlent de la correction des corps, de la sollicitation de « la réflexivité des individus sommés de prendre en charge leur propre normalisation via une discipline intériorisée », du pouvoir médical, « les femmes sont perçues comme potentiellement néfastes et défaillantes tout en étant rendues responsables du bien-être de leurs proches et du bonheur dans leur couple », de l’idéal hétéro-normatif et de la naturalisation des binarités hommes/femmes et hétérosexualité/homosexualité, de clinique des troubles sexuels, des résistances des individus et de ce qu’elles contribuent à mettre en évidence « les lignes de fractures et les points possibles des changements structuraux »…



Les différents articles illustrent des évolutions de la pensée et des pratiques médicales, dans un cadre très normé par la « différence des sexes » et par les pratiques « légitimes » de la sexualité. Les effets de l’idéologie néo-libérale – de l’individu responsable de la construction de soi – dans le déni des rapports de pouvoir et des contraintes socio-économiques différenciées qui pèsent sur les individus -, se combinent à la persistance (ou le reploiement) de caractérisations naturalistes ou essentialistes. L’attention aux corps et aux façonnages de ceux-ci sont indispensables (en complément possible, Nouvelles questions féministes : Le physique de l’emploi)

Il m’est difficile de penser les demandes de traitements médicaux hormonaux ou chirurgicaux hors des contextes socio-culturels, des rapports sociaux de sexe et de leurs contradictions (en particulier dans la construction sociale des psychismes, et du « sexe subjectif »), d’oublier la pression à l’hétéro-normativité (et celle de l’industrie pornographique), de négliger la solidification historique de ce qui est nommé – mais jamais défini – comme « féminin » et « masculin »…



Chacun·e trouvera, dans l’exposition des pratiques médicales et de leurs évolutions, de multiples éléments pour penser et contester l’asymétrie des sexes, pour briser l’enfermement sexué des individus et de leurs désirs, pour abolir – et non aménager – le système de genre et ces fallacieuses dichotomies du féminin/masculin…
Lien : https://entreleslignesentrel..
Commenter  J’apprécie          20


Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Hélène Martin (2)Voir plus

Quiz Voir plus

Thérèse Raquin - Emile Zola

Comment se nomme le premier mari de Thérèse ?

Robert
Camille
Laurent

9 questions
1103 lecteurs ont répondu
Thème : Thérèse Raquin de Émile ZolaCréer un quiz sur cet auteur

{* *}