Dire de Keith Haring qu’il est né en 1958 est une sottise. Et ajouter qu’il est mort en 1990, une abomination. Sa courte vie n’a ni début ni fin et sa peinture s’ouvre à un devenir illimité ; encore passée (primitive) et déjà future (technologique), elle nous transperce comme ces bonshommes qu’elle montrait traversés par des chiens bondissants.
C’est simple : Keith Haring a inventé le modèle de la boutique où l’on se précipite tous après une visite (parfois fastidieuse) au musée afin d’y acheter des cartes postales, des parapluies, des mugs, des suppléments d’art, des fragments du patrimoine culturel qu’on puisse garder et qui soient à nous. Seul un artiste pouvait ainsi élargir l’accessibilité de l’art, sans se faire taper dessus par les esprits conservateurs, gardiens zélés de l’unicité de l’œuvre et de son aura sacrée. Seul un artiste pouvait se réinventer en diffuseur et plus seulement en créateur, et étendre ainsi son rayon d’action.
Avec Disney et les Schtroumpfs, Keith Haring accède à une toute nouvelle expressivité du trait. Pas question d’y témoigner de quelque état émotionnel (ce que fera encore Basquiat). Ce sont les inflexions de la ligne, son « câblage », qui en feront l’intensité. C’est comme la danse hip-hop, que Keith adorait : la désarticulation angulaire y devient reptilienne.
Le grand public envisage souvent l’œuvre de Keith Haring comme ludique et légère. A travers cette exposition, [nous] souhaitons montrer qu’elle est aussi politique, revendicatrice, violente, sexuelle… Et dans son travail, la politique se loge à plusieurs niveaux. A ses débuts, il intervient dans l’espace public en inondant de dessins les panneaux publicitaires du métro new-yorkais : inventer cet art accessible à tous, c’est une démarche politique.