Les reconnaissances artistiques nous réjouissent. Elles rayonnent d'un supplément d'âme, enfanté par la rencontre. Un peu comme deux inconnus qui, d'un seul regard, auraient cette impression inexplicable d'avoir toujours arpenté les mêmes sentiers. Nathalie Savey aime la poésie de Philippe Jaccottet. Ce qu'elle recherche par la photographie se trouvait pour ainsi dire traduit dans les déambulations verbales du poète. Cheminements abrupts, regard oublieux confronté à la minéralité du réel, à l'envol inespéré d'un oiseau, chacun a su saisir son propre paysage, extérieur ou intérieur.
L'un comme l'autre ne s'offre pas au premier venu. Il faut au lecteur une humilité de promeneur assidu pour gagner en sensations et apprécier la prose de Jaccottet. Il faut, semble-t-il (c'est du moins ce à quoi nous avons été confrontés), cette même vacuité, cette même aptitude à être dans l'instant, pour observer les oeuvres de Nathalie Savey, dénudées de toute velléité d'ornement. Une telle nudité rassure, après avoir interpelé, voire rebuté.
Les montagnes, ses sujets de prédilection, renaissent dans la répétition du même sans être identiques. Elles s'enveloppent d'une "météorologie de l'âme" (Char) qui n'est pas sans rappeler certains fragments d'André du Bouchet. Qu'on se le dise, il n'y a jamais de hasard dans de telles rencontres. Nathalie Savey le sait, une certaine poésie nourrit son art de toute évidence.
Merci à Babelio et à l'opération Masse Critique pour cette découverte inattendue et appréciée.
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L’ouvrage édité par « L’Atelier contemporain » rassemble les photographies de Nathalie Savey prises entre 1995 et 2012. Classées en huit séries, elles sont présentées en vis-à-vis avec des textes poétiques de Philippe Jaccottet. Exposées à droite de la double page, elles forment miroir à la poésie et la prose de Philippe Jaccottet. Les photographies ne sont pas des illustrations des textes, elles constituent des éléments de recherche qui ouvrent d’autres chemins de réflexion entre l’œil et les mots, entre la limite du verbe et l’arrêt du temps opéré par l’appareil photo. L’œil saisit le monde dans le temps et les distances, la photographie tente de le figer. La perspective est cassée, les angles de prise de vue taillent les paysages et les distances rapprochées matérialisent les éléments. Cette présentation interroge, la nature apparaît mystérieusement composite. Elle permet au photographe de sonder la roche, le sol, le montagne, l’eau, les oiseaux. La première page donne le ton de cette recherche. Philippe Jaccottet suggère que « de toutes les couleurs, il se pourrait que le vert fût la plus mystérieuse en même temps que la plus apaisante », Nathalie Savey y présente une photographie en noir et blanc où les grisés dominent. Le lecteur est convié à réfléchir sur la relation entre l’œil et la réalité physique, l’impression vécue et l’intemporalité des éléments de la nature. La lumière fige le mouvement dans la série « Les Envolées ». Des oiseaux sont saisis dans leur vol, offrant ainsi une danse esthétique brusquement arrêtée. La photographe permet de suggérer le temps et de vivre le moment présent. La relation avec la philosophie orientale est engagée : épure de l’instant exposé dans la calligraphie, et la poésie des haïkus. La série « Les Horizons » illustre la limite entre matière et vacuité du ciel, elle est tranchée, nette entre la roche et le ciel. « Les Montagnes rêvées » animent la relation entre le minéral et l’atmosphère. Tandis que « Les Eclaircies » font danser les nuages qui entrent en conversation avec les cimes. La cascade Cheonjiyeon a inspiré une série remarquable. Son nom signifie en coréen « l’étang du Dieu ». Une légende raconte que sept fées sont descendues sur la terre pour se baigner dans l’eau claire de l’étang. La roche reste fixe les photographies de la série alors que dans un noir profond la partie supérieure révèle des effets de lumière aux signes cabalistiques. L’ouvrage est mis en valeur par les textes qui accompagnent les photographies. Nathalie Savey a choisi les mots et phrases de Philippe Jaccottet en contrepoint de chaque photographie. Considéré comme un des plus grands poètes suisses, et français, du XX e siècle, Philippe Jaccottet vient en appui aux interrogations provoquées par Nathalie Savey. En postface, trois spécialistes apportent leurs réflexions sur le sujet d’étude de Nathalie Savey. Héloïse Conesa est Conservatrice en charge de la photographie contemporaine à la Bibliothèque Nationale de France. Michel Collot a rédigé des essais sur « La poésie moderne et la structure d’horizon », « La Matière-émotion », « Paysage et poésie ». Yves Millet est un spécialiste dans le domaine de la philosophie de l'art et de l'esthétique de l'environnement. Leurs commentaires apportent des éclairages fort intéressants. L’éditeur « L’Atelier contemporain » présente un ouvrage de belle qualité. L’impression donne toute sa valeur aux photographies. La qualité du papier est des plus agréables. Un bel ouvrage au final.
Merci à Babelio pour son opération « Masse Critique » et aux éditions « L’Atelier contemporain ».
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De superbes textes accompagnent d'intrigantes photos de rochers, de ciels, d'oiseaux. C'est poétique et nous invite à nous laisser aller à l'impossible, à l'instantané, à la vie.
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Cette monographie sur les ruines antiques est une petite merveille pour les passionnés de l'Antiquité. Différents sites sur le pourtour méditerranéen sont immortalisés sous un angle précis et la plupart de ces 200 photographies sont accompagnées d'un extrait littéraire (poème ou texte antique, journal d'auteurs du XVIII siècle, etc.) mentionnant le lieu illustré.
Mais a plus grande force de cet ouvrage est de faire ressentir une vive émotion à chacun de ces clichés. Chaque photographie, prise en panorama en noir et blanc, est magnifique et pourtant fait prendre conscience que ces lieux sublimes ont été abandonnés, qu'il ne reste que quelques débris de leur splendeur passée. J'en ai éprouvé admiration et désolation. Le noir et blanc renforce la tristesse de voir ces lieux sans vie.
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