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Citation de Partemps


Henri Meschonnic
Extrait d’un entretien Benoît Chantre, Henri Meschonnic, Philippe Sollers

Le psaume 133 commence en chanson et est devenu une chanson populaire israélienne : « Vois qu’il est bon et qu’il est doux d’être frères aussi ensemble. » Il faut voir comment d’autres traducteurs s’y sont exercés. Ce n’est pas par arrogance ou par mauvais esprit, mais pour montrer que la petite symétrie, qui ressemblait déjà à une chansonnette, a disparu. Lemaistre de Sacy : « Ah ! que c’est une chose bonne et agréable que les frères soient unis ensemble. » C’est une phrase en prose. Il n’y a pas de métrique, mais c’est une autre rythmique. Ostervald : « Oh ! qu’il est bon et qu’il est doux que des frères demeurent unis ensemble. » Samuel Cahen : « Qu’il est beau, qu’il est agréable lorsque des frères demeurent ensemble ! », Le sens est toujours le même, mais la rythmique est tout autre. Segond : « Voici Ô qu’il est agréable, qu’il est doux de demeurer ensemble ». Le Rabbinat : « Ah ! qu’il est bon, qu’il est doux à des frères de vivre dans une étroite union ». La Bible de Jérusalem : « Voyez ! qu’il est bon, qu’il est doux d’habiter en frères tous ensemble ».

la Bible
le livre des écrivains

Texte fondateur de trois monothéismes révélés judaïsme, christianisme et islam — la Bible apparaît depuis le Moyen Âge comme le « Livre ». Matrice originelle de la littérature et de l’art en Occident, elle est source inépuisable d’images, de symboles, d’archétypes, mais aussi de formes narratives ou poétiques. La Bible représente, inspire, transmet bien au-delà de la croyance qu’elle établit et affirme. C’est cet « au-delà » qu’explorent aujourd’hui des écrivains venus d’horizons très divers : « au-delà » de la mort et du silence de Dieu, « au-delà » de la foi que les rédacteurs du texte biblique cherchaient à transmettre ; la Bible, dans sa langue forte et souvent violente, s’approche plus que tout autre de ce « sacré » que les êtres humains cherchent à atteindre même lorsqu’ils ne se déclarent plus croyants. Des écrivains se sont attachés à revenir aux sources, à apprendre l’araméen pour traduire le texte dont ils nourrissent leur propre travail d’écriture. Autant d’approches nouvelles de la Bible dont ce dossier La Bible, le livre des écrivains.

Le même verbe peut signifier « habiter », « être assis », ou bien « être » tout simplement. Dhorme : « Qu’il est bon, qu’il est doux pour des frères d’habiter ensemble », Chouraqui : « Voici ! quel bien, quel agrément, d’habiter, frères, unis ainsi ! »

Benoît Chantre. — Redonnez-nous Meschonnic, que nous l’ayons en tête...

Philippe Sollers. — « Vois qu’il est bon / et qu’il est doux /// d’être frères aussi ensemble. » On peut être frères sans être aussi ensemble et sans habiter ensemble — [on peut se souvenir des père de Sollers : deux frères ont épousés deux soeurs et vivent dans des maisons contigües et symétriques...]

Henri Meschonnic. — L’essentiel, en l’occurrence, c’était deux choses : d’être frères, et d’être ensemble. Le problème ne résidait pas dans le sens. Bien des traducteurs savent l’hébreu certainement mieux que moi. Ce n’est pas un problème de langue, c’est un problème de rythme et de mode de signifier.

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Quel tohu-bohu ?

Prenez le début de la Genèse. Ce ne sont pas les problèmes qui manquent au commencement du monde. Le mot « tohu-bohu », tóhou/vavóhou, est un couplage expressif. Ce n’est pas une onomatopée, cela n’imite rien. On trouve beaucoup d’expressions expressives dans la Bible. Le problème n’est donc pas celui du sens. Étant donné que nous sommes dans le récit d’une cosmogonie, il y a dans chacun des mots qui sont employés là comme une épaisseur de légendaire.


D’après la Bible moralisée, c1250, Vienne, Bibliothèque nationale autrichienne.
En 1973, j’avais traduit tóhou vavóhou par « boue et remous ». Je m’étais fondé à l’époque sur des récits akkadiens et babyloniens. J’ai préféré, après lecture de tous les commentaires, « vaine et vide », pour le couplage et plus proche du sens, car il fallait rendre la notion de vide.
En 1535, Olivétan est le premier traducteur de la Bible en français à partir de l’hébreu. Jusqu’alors, tous avaient traduit à partir du latin. Mais traduire à partir l’hébreu ne suffit pas. Encore faut-il répondre au défi poétique. Olivétan dit : « indisposée et vide ». Le latin donne : « terra autem erat inanis et vacua ».

Philippe Sollers. — Vous traduisez par « vaine et vide ». Cette traduction tient bien. « Vaine » : le Waste land de T. S. Eliot, la terre vaine.

Henri Meschonnic. — Il y a d’autres tentatives du même ordre. Dans la Bible de Jérusalem, on, trouve « vide et vague ». Il y a une infinité de manières d’échouer et une infinité de manières de réussir, jamais une seule solution. Il faut faire en sorte que le programme de traduction contienne la prosodie et le rythme. Inanis et vacua ne donne que le sens des mots. L’autre problème est celui de la fin du premier jour, rom e’had, que je traduis par « jour un » et non pas par « premier jour ». Le signifiant est bien un adjectif cardinal et non pas ordinal. En revanche, dans la suite du texte, on a bien : deuxième, troisième, etc. J’ai suivi le commentaire célèbre de Rachi, du XIe siècle. Je ne fais pas mienne son explication, mais il justifie l’adjectif cardinal par le fait qu’au début Dieu est seul dans son univers.

Philippe Sollers. — C’est tout à fait juste.

Henri Meschonnic. — Mais c’est aussi parce que, au moment où cela se passe, la série n’a pas encore commencé. Cela ne peut donc pas être traduit par « premier ».
C’est le jour un. La plupart des traductions ont traduit par l’adjectif ordinal. Au verset 5, Lemaistre de Sacy : « et du soir et du matin se fit le premier jour ». Ils ont tous traduit par « premier jour ».

Philippe Sollers. — Ils sont très pressés qu’il y en ait d’autres.

Henri Meschonnic. — Oui. Mais pour le sixième jour, c’est une autre syntaxe qui se présente et j’ai traduit par « Jour, le sixième ». Il faut reconnaître que tout ce début n’est pas du langage ordinaire. C’est une cosmogonie. C’est une syntaxe très simple, par rapport à celle des Gloires. Mais le problème poétique est ailleurs, il est celui de l’atmosphère du divin. Je crois qu’elle est perdue avec la traduction de Jean Grosjean, qui en fait du français ordinaire, même si je comprends très bien pourquoi Jean Grosjean traduit ainsi : « C’était le premier jour », en ponctuant avec des « et voilà. »

Philippe Sollers. — Il y a là une dé-divinisation très grande. Cela me fait penser à quelqu’un, le vieux Joseph Haydn. Beethoven dirige son oeuvre La Création. Quand tout le monde s’est mis debout pour applaudir, il a levé les bras au ciel pour signifier que cela venait de là-haut.
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