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Citation de Partemps


Henri Meschonnic
Plus je vais, plus je comprends que la poésie, ce que j’appelle poésie, à moins de dire, ce qui va ailleurs, vers de l’imprévisible, d’où le plaisir, non plus poésie, mais poème, et plutôt encore le poème de la pensée, alors un poème est de circonstance quand il est au maximum poème, quand il est le maximum de la relation entre la vie et le langage, entre une vie et un langage. Ce qui fait que cette vie est transformée par son langage, et que le langage est transformé par cette vie. Et par toutes les petites vies qu’il y a dans une vie. Il ne s’agit donc pas d’un « lien », l’expression est insuffisante, entre la vie et la poésie, puisqu’il s’agit d’une transformation réciproque.

6Et si le poème est cette transformation, cette transformation même est ce que j’appelle le sujet du poème, c’est-à-dire la subjectivation maximale d’un système de discours. Je dis subjectivation, pas subjectivisation, qui ramènerait le poème à la psychologie, donc à l’énoncé, et au signe, à son double discontinu, le discontinu interne du signe, le discontinu interne du rythme, à eux deux produisant toute la chaine du discontinu entre les catégories de la raison, qui séparent et pseudoautonomisent le langage, le poème, l’éthique et le politique.

7Non, la subjectivation d’un langage par une vie oblige à penser le poème comme un acte éthique, et comme un acte éthique suppose qu’est sujet ce qui fait du sujet, qu’est sujet celui par qui un autre est sujet, le poème est maximalement un acte éthique. Donc il mène à penser et pratiquer une politique des sujets, et non plus une politique de l’opposition propre au signe entre individu et société. En ce sens un poème est aussi un acte politique.

8Dire que c’est un universel, c’est dire que partout et toujours c’est ce que fait un poème. Ce qui implicitement permet et oblige même à rechercher dans cette exigence, dans cet implicite, le critère de ce qui fait qu’un poème est un poème, pour pouvoir faire la différence entre un poème et ce qui fait tout pour ressembler à la poésie. Comme on est poussé nécessairement à reconnaitre cette différence, comme il faut apprendre à reconnaitre le vrai du faux. En art. Ce qui aussitôt fait de la pensée aussi un art. Et une éthique. Et une politique.

9Quant à la circonstance, qu’est-ce que c’est ? Ce n’est pas une situation exceptionnelle. Chaque moment, chaque rencontre, avec les autres, avec soi-même, est de cet ordre. Mais on ne sait pas, en tout cas on ne sait pas d’avance, ce qui détermine le déclenchement d’un poème. De ce point de vue, on découvre la force de l’infime. Ce qui ne signifie naturellement pas que des bouleversements majeurs, qui nous remuent, qui nous retournent soient diminués. Mais l’important est que l’émotion passe du sujet qui pense, du sujet qui sait, qui veut, qui a des émotions, au sujet du poème.

10Sinon, il n’y a que de l’énoncé, de la description, tout ce que Mallarmé appelle le nommer, où je vois le critère de ce qui n’est pas du poème, mais la confusion traditionnelle entre le signe et le poème. Et c’est contre cette vieille association des idées que penser ce qui arrive dans un poème, ce que fait un poème, produit de la dissociation d’idées – cette trouvaille de Rémy de Gourmont. Le poème casse le signe, il casse du signe, il casse des associations d’idées, c’est-à-dire des consensus qu’on prend pour des vérités. Il y a du terrorisme dans le poème, par rapport à l’établissement du signe. Il en a toujours été ainsi. Rien de nouveau ici. Dans ce que fait le poème. Mais le nouveau est de le reconnaitre. De bousculer nos habitudes, notre mauvaise éducation, deux mille cinq cents ans de dualisme et de discontinu, pour reconnaitre tout ce qu’on ne sait pas qu’on entend, tout ce qu’on ne sait pas qu’on dit, tout ce qu’on ne sait pas qu’on fait, dans le langage.
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