Henri Terres

-vous en parlez comme d'un truc en ready-made.
du Marcel Duchamp tout craché ! Vous voyez qui c'est, Duchamp ... ?, s' emporta-t-il.
Elle confirma d'un rapide mouvement de tête, et cela tombait bien, car il aurait été déçu du contraire. Vu le niveau culturel du bourg, réduit à la promotion du canard gras et aux jeux de grattage, connaître Marcel Duchamp tenait du miracle...Et bien, c'est exactement l'impression que j'ai... dit-il en soupirant, soulagé de pouvoir argumenter plus avant.oui, c'est bien ça...Une grande fille en ready-made...prête à l'emploi... mais aussi inutile que ce foutu urinoir de l'artiste, maintenant qu'il trône dans une salle de musee...En le faisant sortir des toilettes, cet engin à perdu sa fonction ! Vous ne trouvez-pas ?
Ce n'est sans doute pas ce que voulait Duchamp...Il se serait contenté de changer le regard du pisseur : pas besoin de deplacer l'urinoir pour ca...quelques mots auraient suffi...son rêve, c'était un spectateur- pisseur ! Donner autant à l'oeil qu'a la vessie..
Louisa n'en revenait pas...ils vivaient un instant un peu irréel, après une tentative d'assassinat, barricadés dans ce blockhaus camouflé en salon d'apparat.

Et sans que l'un ou l'autre l'ait senti venir, un regard croisé les trouble. Ce qui déclenche la concupiscence des êtres reste un mystère, mais tout à coup, son mécanisme obscur et subtil se déploie entre eux. Sa fulgurance les électrise sans qu' ils comprennent ce qui leur tombe dessus, les aimante... Au point qu'en un instant ils sont pris d'un même et furieux désir.

La gendarmerie a débarqué tôt chez lui, pour une perquisition menée par le lieutenant Pennaveyre.
(...)
Vous préférez qu' on commence par le haut ?, poursuit Pennaveyre d'une voix avenante.
- comme vous voulez...Je ne vois pas ce que ça change ! Il y a autant de placards sur les trois niveaux, et je ne me souviens plus dans lequel dans lequel j'ai rangé les autres cadavres. Vous verrez bien...

Elle s'était tant de fois attardée sur cette photo, dont elle connaissait chaque ombre... Juste parce que, telle quelle, malgré l'air un peu bravache de ce combattant lointain, cette image lui avait inspiré d'emblée du désir. Mais un désir fantasmatique, impossible à satisfaire...Et qui de ce fait le rendait moins violent, presque accessoire.