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Citation de Charybde2


Mais il faut repérer deux choses nouvelles au milieu de cette avalanche d’informations. D’abord, le processus de destruction s’est accéléré à tel point qu’en quelques décennies ce qui était objet de débat est devenu une réalité sensible en tout lieu de la planète. J’observe comme journaliste scientifique la crise écologique depuis trois décennies. Autour de 1990, l’alerte écologique avait été relancée depuis quelques années (à partir des pluies acides en 1983, des accidents de Bhopal en 1984 et de Tchernobyl en 1986, de la déplétion de la couche d’ozone connue en 1988, du premier rapport du Giec sur le climat en 1990). Cependant, le doute restait grand tant sur le changement climatique qu’à propos de la biodiversité, dont le concept n’avait été posé par les biologistes qu’en 1986. Si l’on savait que la destruction des espèces et des milieux naturels était en cours, les scientifiques avaient du mal à évaluer les taux d’extinction des espèces (le concept d’espèce était lui-même disputé), et former une vision globale des milliers de situations particulières était difficile. Quant au changement climatique, il restait incertain, comme le reconnaissait le Giec deux ans après son rapport de 1990 : la réaction de la température moyenne à la surface du globe au doublement du CO2 (gaz carbonique ou dioxude de carbone) ne dépasserait « probablement pas » la fourchette de 1,5 °C à 4,5 °C, écrivait-il ; il y avait « de nombreuses incertitudes dans [leurs] prédictions, particulièrement en ce qui concerne « le calendrier, l’ampleur et les effets régionaux » ; la hausse de la température depuis cent ans « est de même magnitude que la variabilité naturelle du climat » ; la détection sans équivoque de l’accroissement de l’effet de serre « n’est pas probable avant une décennie voire plus ».
Les climato-sceptiques, le plus souvent financés par les compagnies pétrolières, se sont engouffrés dans cette hésitation pour entretenir le doute et créer la confusion dans l’opinion publique. C’est tout à l’honneur des scientifiques d’avoir avancé avec prudence pour asseoir leurs conclusions avec le plus grand degré possible de certitude. Mais il a fallu des années pour parvenir au fait indiscutable que la sixième crise d’extinction des espèces s’amorce et que le changement climatique est lui aussi pleinement engagé. La connaissance scientifique, et c’est logique, est toujours en retard sur la réalité des phénomènes qu’elle tente de décrire. L’ennui, le gros ennui, est que la lente marche pour refermer peu à peu les interrogations a permis aux conservateurs de maintenir un statu quo destructeur. Si bien qu’en à peine trente ans réchauffement, recul de la diversité de la vie et pollution des écosystèmes ont atteint des niveaux effrayants.
Autre élément nouveau et crucial, les dégâts macro-écologiques affectent les pays riches, alors que jusqu’à récemment ils se manifestaient surtout dans les pays du Sud. Qui était réellement concerné en Europe ou en Amérique du Nord quand les Pygmées du Cameroun ou les Yanomami au Brésil constataient la destruction des forêts où ils vivaient, quand les Philippins ou les Guatémaltèques voyaient leur économie meurtrie pour plusieurs années par des cyclones, quand les Pakistanais étouffaient par une chaleur de 45 °C ? Cependant, depuis le coup de gong de l’ouragan Katrina qui a balayé La Nouvelle-Orléans en 2005, le souffle oppressant de la catastrophe atteint les rivages prospères. En Californie, avec des feux monstrueux à répétition, l’exception devient d’une banale normalité. En 2019, l’Australie a éprouvé pendant des mois des incendies de forêt au goût d’apocalypse. En 2020, un virus venu de la forêt profonde et disparue a plongé le monde dans la stupeur et la paralysie. Nous ne sommes plus à l’abri. Et le spectre de l' »effondrement » taraude les sociétés opulentes, qui oublient que cette situation a déjà été subie par d’autres cultures : Mayas, Incas et Aztèques exterminés par les maladies apportées par les Européens au XVIe siècle, sociétés africaines déprimées par l’esclavage des Européens aux XVIIe et XVIIIe siècles, peuples premiers des États-Unis d’Amérique quasiment détruits par un génocide au XIXe siècle. Le monde s’effondre, écrivait Chinua Achebe en 1958, face à la « modernisation ». Mais qui écoute un écrivain nigérian ?
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