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Citation de hcdahlem


(Les premières pages du livre)
« PONT-SUR-RISLE, ANNÉES 90
CHAPITRE 1
Cette manie qu’il avait tout jeune.
Cette taloche sur le crâne qu’il avait pris l’habitude de me balancer avant chaque repas, comme ça sans raison, quand il passait derrière moi, que je me tenais tranquillement assis devant mon assiette et que sa mère ne regardait pas ; et même quand elle regardait d’ailleurs. Pas appuyée au début, presque gentillette, excusable encore, juste une petite tape, mais qui avait le foutu don de me taper sur les nerfs, une sorte de coutume avant le dîner qui ne portait pas à conséquence, du moins dans les premiers temps. Fabienne s’en serait presque amusée si elle n’avait fini par se rendre compte que l’insolence de son fils m’exaspérait ; il faut bien que jeunesse se passe, c’était sidérant de la voir se ranger tout le temps de son côté. Où avait-elle entendu dire qu’un enfant ne se devait pas de respecter son père de substitution ? Ce n’était quand même pas à moi de m’adapter, avait-elle décidé de tout faire tourner à l’envers dans ma propre maison ?
J’avais bien tenté d’aborder la question avec elle, mais à la seule mise en cause de son cher petit Stéphane adoré, je voyais son visage s’assombrir du tout au tout, comme un paysage ensoleillé de juillet qu’un gros nuage vient brusquement gâcher. Non contente de décréter que nous ferions chambre à part dès le début de notre vie commune, il pouvait aussi lui arriver, pour bien souligner son mécontentement, de me couper le chemin de son lit pour une durée indéterminée. Je n’avais plus l’âge pour ce genre de traversée du désert. Si je m’étais mis avec Fabienne, c’était précisément pour profiter de mon reliquat de vie sexuelle et je considérais que la satisfaction de mes plaisirs intimes pesait plus dans la balance que la défense de sacro-saints principes d’éducation.
Il faut dire que nous n’avions pas loin de trente ans d’écart, elle et moi, et je dois concéder que le corps sublime de Fabienne justifiait bon nombre de mes lâchetés. Tous les hommes ont une théorie sur le corps féminin, personnellement, je trouvais qu’il n’atteignait sa plénitude qu’au bout d’un long processus de maturation, quand il frisait sa quarantième année (et pas trop longtemps après). Celui de ma nouvelle femme se trouvait pile poil dans la bonne fourchette et j’estimais n’avoir jamais assez l’occasion d’en profiter. C’était une raison suffisante à mes yeux pour m’écraser devant Stéphane.
Cela dit, Fabienne pouvait très bien passer inaperçue quand on la voyait pour la première fois.
Et d’ailleurs, la plupart des hommes la remarquaient à peine ou si c’était le cas ils se gardaient bien de le montrer. Quant aux femmes, je ne sais pourquoi, elles ne lui faisaient aucun cadeau, elles la trouvaient généralement quelconque. On aurait dit qu’elles s’en méfiaient. J’avais même entendu plusieurs réflexions désobligeantes sur son physique qui m’avaient marqué et me sont restées longtemps en travers de la gorge. De la part de mégères qui, sans doute, ignoraient à l’époque qu’elles s’adressaient à son futur mari. Mais peu importe.
Moi-même, il m’avait fallu du temps pour me laisser prendre à sa beauté animale, cinq ou six rencontres pour rien avant que son charme n’opère. En y repensant, plusieurs détails clochaient chez elle, même si j’ai fini par m’y faire, elle avait cette fine cicatrice à la lèvre supérieure dont la boursouflure pouvait détourner l’attention lorsqu’elle vous parlait. Il faut reconnaître aussi que ses dents étaient loin d’être parfaites, j’avais beau lui répéter qu’il n’y avait pas de fatalité, qu’on pouvait très bien y remédier, la perspective de les confier à un dentiste la terrorisait, celles du bas se chevauchaient étrangement, créant des ombres peu esthétiques, ce qui expliquait d’ailleurs qu’elle ne se laissait jamais aller à rire en toute franchise, rarement même on la voyait sourire et, quand c’était le cas, elle avait une façon bien à elle de placer sa main devant sa bouche. Ce que j’avais tout d’abord pris pour de la retenue, voire une sorte de timidité, n’était en fait qu’un excès de coquetterie. Rien à dire de particulier sur ses cheveux non plus, ils étaient d’un noir commun et je me souviens qu’elle les gardait la plupart du temps attachés, même lorsque nous faisions l’amour. Elle était parfaitement proportionnée, comme je crois l’avoir déjà mentionné, mais pas au point comme certaines d’affoler les hommes que nous croisions dans la rue. Je sais que c’est difficile à avaler, mais aucune fille ne m’a fait perdre la boule comme elle. Son magnétisme se trouvait ailleurs, irrésistible, une fois qu’on s’y laissait prendre et on peut dire que je me suis fait avoir en beauté. C’est loin d’être évident pour moi de parler de toutes ces choses avec la distance requise, il me remonte encore des bouffées, je peux juste dire qu’elle avait de douces promesses d’alcôve, je ne saurais mieux l’expliquer, dans le fond de ses yeux, la texture de sa peau, au plus profond de son odeur de femme ou dans le timbre de sa voix qu’elle savait rendre lascive et que j’entends encore parfois quand je me sens seul.
Progressivement, son gamin a dû se sentir encouragé par mon manque de réaction et je n’ai rien vu venir, il a pris de l’assurance, laissé libre court à son agressivité, son revers claqué de plus en plus fort derrière mon oreille, toujours à cet endroit dont je garde encore le souvenir cinglant, laissait une brûlure insistante. Une douleur teintée d’humiliation. J’avais honte de ne pas exiger qu’il arrête. Oser lui dire, une fois pour toutes que, bon Dieu, son geste était totalement déplacé. Vu son âge, vu le mien. Et lui en mettre une bonne qui l’aurait définitivement calmé. Mais, comme je l’ai dit, la lâcheté me paralysait, sa mère avait trop d’emprise sur moi. Était-ce également la crainte de l’affronter ?… À l’époque, j’étais bien plus fort que lui. Physiquement, j’entends. Si j’avais voulu, j’aurais pu le réduire, l’écraser comme une vermine. En tout cas, je sais que j’aurais dû tenter quelque chose. Ou du moins dire quelque chose. Réagir. Et ce dès le début. Je le sais pertinemment.
Il est important qu’un beau-père sache se faire respecter, bla-bla-bla, je sais tout ça, on m’avait prévenu.
Et il est bien trop facile de m’accabler de reproches aujourd’hui, avec le recul du temps et des événements, maintenant qu’il est trop tard de toute façon. Le fil des habitudes s’est déroulé, toute la pelote y est passée, allez-y pour remonter une pelote, bonne chance ! C’est comme replier une carte routière qui a servi, je n’y suis jamais arrivé. Stéphane ne pouvait plus revenir en arrière. Et moi non plus si on va par là. J’aurais bien voulu les y voir, les donneurs de leçons, tous ceux qui se croient toujours obligés de refiler des conseils. Sans compter tous les autres, ceux qui se taisaient et qui n’en pensaient pas moins. Ils n’ont jamais été à ma place. Personne. Ils ne peuvent pas comprendre. Personne ne saura jamais me comprendre. Facile de juger quand on n’est pas dedans.
Toujours est-il que son geste rituel, répété si souvent, s’est imposé dans nos rapports comme un droit d’usage, un cérémonial dont je sais que Stéphane n’aurait renoncé pour rien au monde. Chaque soir, j’encaissais sa taloche sans broncher. À force, je m’y faisais, j’ai remarqué qu’on se fait à tout, c’est un des privilèges de l’âge, il fallait juste me convaincre qu’il était inutile d’en faire un drame, pourquoi vouloir mêler à tout prix sa mère à ces broutilles, Fabienne ne m’aurait pas aidé, c’est plus que certain et, surtout, je craignais qu’une réaction tardive et disproportionnée de ma part n’arrive à contretemps, ne fasse que renforcer l’ascendant que Stéphane avait déjà pris sur moi et n’aboutisse, en fin de compte, qu’à lui concéder une victoire trop facile. Je n’aurais pas supporté qu’il se réjouisse des dégâts provoqués sur mes nerfs par son geste imbécile. Car, j’avais beau sauver les apparences, je sentais qu’un truc se fissurait en moi quand je prenais un peu de recul. Et il m’arrivait d’en prendre, il faut pas croire, je sais bien que l’avis des gens n’aurait pas dû entrer en ligne de compte, mais on a beau essayer de faire abstraction, ça revenait comme une balle de jokari, je me disais qu’ils n’en auraient pas cru un mot, tous autant qu’ils étaient, s’ils avaient appris que Monsieur Bernardini (Président de la Chasse, directeur des remorques Loisel & Cie, le monsieur si bien habillé qui habitait la belle maison dans le bas du bourg), le Félix Bernardini connu de tout le village, eh bien ce monsieur Bernardini-là, se laissait emmerder par son beau-fils mineur.
Et sous son propre toit encore !

CHAPITRE 2
Le geste déplacé de Stéphane m’affectait plus que je ne voulais bien me l’avouer.
J’ai renoncé à en faire toute une histoire mais il écourtait mes nuits et noircissait mes pensées. Et, au lieu de mettre fin à ce jeu qui n’en était pas un, je perdais mon temps à vouloir l’expliquer. Quelle mouche avait pu piquer Stéphane ? Je ne me souvenais pas lui avoir sorti quoi que ce soit de blessant, d’avoir eu la moindre attitude déplacée. Pourquoi s’était-il mis à me détester d’emblée ? Et surtout, comment rectifier le tir maintenant ? Plus que de l’insolence gratuite, il m’arrivait de percevoir ses enfantillages comme l’expression d’une volonté délibérée de me détruire. Était-ce la fatigue liée aux insomnies. Ou ma fragilité psychologique pendant cette phase charnière de ma vie. Toujours est-il que Stéphane piétinait l’image que j’avais mis des dizaines d’années à composer. Il niait mon humanité et faisait rejaillir des incertitudes en moi que j’espérais enfouies depuis des lustres.
Son grand truc consistait à me comparer à son père. À ses yeux, j’étais quantité négligeable à côté de son ivrogne invétéré de père, c’est ce qu’il cherchait à me faire entrer dans le ciboulot. Allez savoir pourquoi, après tout ce que ce type avait pu leur faire subir, à lui et à sa mère, Stéphane s’était mis à propreme
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