— Chère Léonie, dit le vieillard, vous me le faites estimer celui qui vous inspire un amour si pur, et je suis impatient de le connaître.
— Non, non, répondît-elle, attristée tout-à-coup de cette idée; non, c'est impossible; laissez-moi le mystère, c'est ma pudeur; laissez-moi mon illusion comme je me plais à la conserver, voilée, impénétrable à tous les regards , même à ceux d'un père... Oh! non, monsieur, continua- t-elle en joignant les mains avec toute la ferveur d'une prière, ne me forcez pas à vous refuser... Je l'aime pour lui seul, il m'aime pour moi ; nous trouvons dans l'ombre qui nous protège un bonheur tranquille, qui nous convient, que rien ne doit troubler. Ce secret, je vous le répète, c'est mon maintien, même devant vous, dont indulgence et la bonté me rassurent. J'ai voulu vivre libre; mais je
n'ai abdiqué aucune des vertus qui parent mon sexe; je veux savoir rougir. Une femme, croyez-le bien, peut marcher seule, sans crainte, au milieu de la foule, quand son coeur est sous la sauve-garde d'un amour vrai ; elle peut tout dans la vie publique, si sa vie privée est enfermée, par la prudence, entre les murailles d'une discrétion aussi forte que la volonté.
Il n'y a pas de vérité qui, dans le principe , ne soit regardée comme une chose absurde. Cependant le fameux e par se muove de Galilée devrait être toujours présent à la mémoire de l'incrédule obstiné, quand on parie des bienfaits que l'avenir réserve à la race humaine. Qu'eût dit le citoyen de Sparte ou de Home, si quelque rêveur du temps, et nous nous servons de cette épithète parce qu'elle est employée contre quiconque annonce un progrès aux dépens d'un abus, qu'eût il dit si l'on eut troublé sa tranquillité par ces paroles de prophète : Un jour viendra où l'homme ne possédera plus d'hommes qu'il puisse regarder comme son bétail , où il n'y aura ni premier ni dernier, où la femme ne sera pas seulement un instrument de plaisir, une machine à peupler, où la parole d'un sage aura plus de force qu'une armée?
Rêver est, dans la jeunesse, un prélude muet : on semble se taire ainsi pour mieux écouter, et c'est toujours un secret que l'esprit perce dans le mystère de la pensée. Le secret d'Olympe avait été depuis longtemps , bien longtemps, depuis des années, le but vague d'abord, et puis de plus en plus déterminé, de toutes ses réflexions; mais l'âge et les connaissances que chaque jour amène dans la vie du monde ne lui laissaient plus ni doute ni obscurité sur ce sujet; car il n'y a pas d'ignorante jeune fille qui ne se crée, dans son cœur, une théorie de l'amour : c'était donc l'amour qui faisait rêver et soupirer Olympe.
L'artiste doit-il obéir ou commander ? Doit-il se montrer en avant de la foule à laquelle il s'adresse ou se traîner à sa suite? Est-ce pour ne Lui rien dire qu'il l'appelle et la rend attentive ? Quand on aura compris tout ce que ces questions renferment de sérieux et d'utile, les beaux-arts reprendront leur droit d'aînesse, et l'esprit français fera de notre littérature le plus important des chemins de fer, le moyen le plus rapide de civilisation.
Dès que l'esprit humain s'est ouvert une nouvelle carrière , il ne la quitte qu'après l'avoir épuisée; tous les filons, tous les embranchements, les moindres veines, sont exploités avec la voracité de l'individualisme, après le mouvement généreux donné par le génie dans l'intérêt de la société.
Un livre sérieux sur le théâtre était aujourd'hui une sorte de témérité, tant les esprits sont partagés sur la question des arts , tant il y a de gens plus disposés à se laisser aller au flot qui les entraîne, qu'à résister avec le secours de la pensée.