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Citation de JuliaG


Dans le numéro du 24 juillet 2015 d'un des rares quotidiens japonais écrit en langue anglaise, le Japan Times, on pouvait lire à la rubrique «fait divers» l'article suivant :
«Le procès de Mme Yen, 65 ans, responsable de la mort d'un bébé âgé de trois mois, se déroulera dans une semaine au tribunal de Tokyo. Le 24 mai dernier, Mme Yen se trouvait au volant de son véhicule dans le quartier de Shinjuku. Mme Ikegami traversait un des boulevards longeant la mairie en empruntant un des larges passages pour piétons, lorsque le landau qu'elle poussait s'est fait renverser par la voiture de Mme Yen. Le bébé, installé dans le landau, est mort sur le coup, sous le regard terrifié de sa mère. Mme Yen, apparemment bouleversée, s'est avérée n'être sous l'emprise ni de l'alcool ni d'aucun stupéfiant. Interrogée par la police au sujet de la perte de contrôle de sa voiture, elle a avoué, à la surprise générale, qu'elle avait relâché son attention pour s'occuper, dans l'urgence, de son Tamagotchi qui, sur le point de mourir, criait famine. Elle s'est défendue en insistant sur l'importance de ce gadget virtuel dans son existence. Très touchée par la détresse de la jeune maman qu'elle venait de séparer à jamais de son être le plus cher, elle a prétendu se trouver dans une situation en tout point analogue avec son Tamagotchi, dont la mort l'aurait plongée dans un désarroi tout aussi profond. Mme Yen vit seule, sans difficultés financières, dans un quartier huppé de la capitale; elle est séparée de son mari depuis vingt ans et a une file dont elle est sans nouvelles depuis des années. Ce jouet lui tient lieu de compagnie et est vite devenu son seul compagnon. Elle passe le plus clair de son temps à s'occuper de lui et de ses besoins plus ou moins pressants. Les policiers sont restés médusés face à la défense avancée par Mme Yen pour justifier son inattention. Elle comparaît devant les tribunaux pour homicide involontaire, encourt jusqu'à cinq ans de prison ferme et une considérable amende. Cependant, lorsque furent portés à la connaissance du public, par voie de presse, les faits, la défense de Mme Yen et la clémence implorée à la justice devant l'importance qu'avait prise ce Tamagotchi à ses yeux, un nombre considérable de personnes se sont émues de ses déclarations et se mobilisent pour que la justice fasse preuve de mansuétude. Le procès de Mme Yen pourrait mettre en lumière l'importance grandissante dans nos sociétés (plus encore que dans d'autres pays) des substituts virtuels (type Tamagotchis, robots de compagnie et autres programmes informatiques de réseaux sociaux) aux compagnons humains ou animaux. Pour une population vieillissante et individualisée, ces robots sont appelés à jouer un rôle de plus en plus important.
Sommes-nous, Japonais, devenus à ce point mentalement contrariés que nous ne parvenions plus à faire la différence entre un stupide objet de métal informatisé et un bébé ? Sommes-nous à ce point aveuglés par les nouvelles technologies que nous leur octroyions une telle place dans nos existences ? Le procureur ne devrait pas avoir de trop grandes difficultés à soutenir son chef d'accusation lorsqu'il s'agira de se prononcer sur l'équivalence en termes de vie et de mort entre un petit jouet, pauvre ersatz d'animal de compagnie, et l'extraordinaire et sacré potentiel de vie et de conscience que représente un nouveau-né.
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