Chez les Pygmées Bachwa du Congo belge, les épileptiques et les albinos passent pour surpasser en pouvoir magique les autres individus. Paul Schebesta, que nous utilisons ici, a rencontré un garçon épileptique, « guère plus qu'un enfant », qu'on lui présenta comme le magicien le plus extraordinaire du district : tout le monde répugnait extrêmement à le rencontrer. Suivant les Nkundu, les épileptiques possèdent une terrible puissance occulte, l'elima. Chez les Bangala du haut Congo, les « personnes à moitié toquées » et celles qui avaient guéri de la folie étaient très redoutées ; elles étaient souvent présentées comme de puissants magiciens.
Le type du libre sauvage, sans entrave aucune, sans inhibition, tel qu'aimaient à le décrire les écrivains romantiques du XIXe n'a pas plus de consistance que l'âge d'or lui-même : pure fiction. On doit reconnaître, bien plutôt, que tout sauvage est lié, pieds et mains, par la coutume ; il subit, en particulier, la contrainte de la coutume négative.
Comme mot anglais, « taboo » a dû son expansion au capitaine Cook, qui l'emploie dans la relation de son troisième et dernier voyage autour du monde. Il aborda aux Tonga ou îles des Amis en 1777 ; à Tongatabu il s'entretint, à bord de son vaisseau, avec plusieurs chefs, tant supérieurs que subalternes. Quand on servit le dîner, aucun d'entre eux n'accepta de s'asseoir, aucun ne voulut manger quoi que ce fût des mets qu'on présentait. « J'exprimai la surprise que cela me causait ; ils dirent alors qu'ils étaient tous taboo (ce mot, de sens très compréhensif, signifie en général qu'une chose est prohibée) » Quelque temps après, Cook observa que, dans un groupe de gens qui prenaient leur repas, deux femmes recevaient la nourriture des mains d'autrui, et il apprit que ces femmes étaient taboo mattee.
Dans son univers, l'homme primitif dut être frappé d'emblée par le contraste de phénomènes ordinaires et de phénomènes extraordinaires. Certains êtres, tant animés qu'inanimés, ne dépassaient pas son intelligence ; il les jugeait d'après leur utilité pour lui ; il en avait une connaissance familière et les faisait servir à son usage. Les êtres humains, les animaux, les choses « sans vie », pouvaient également agir d'une manière anormale et inexplicable et révéler ainsi une force qui ne tombait ni directement ni indirectement sous les sens, une puissance occulte.
« Taboo », tabou, du polynésien tabu, est l'un des rares vocables que les langues modernes doivent aux idiomes des insulaires de l'océan Pacifique. En anglais, on l'emploie aussi bien comme adjectif ou participe que comme substantif ; on en a même fait un verbe : un « taboo » est une prohibition ; un objet « taboo » ou « tabooed » est un objet frappé d'une prohibition ; « to taboo », c'est soumettre quelque chose à une prohibition.
Chez certaines tribus du sud-est, entre autres les Natchez et les Cherokee, on attribuait au jumeau cadet des chances de bon prophète ; les triplets faisaient des prophètes supérieurs encore. Les Iroquois pensent que les jumeaux peuvent annoncer l'avenir et opérer d'autres merveilles, mais qu'il suffit qu'une femme en menstrues prépare leur nourriture pour qu'ils perdent leurs dons.
La magie et le tabou viennent en tête des croyances et des pratiques sans fondement qui s'imposent à l'histoire de la psychologie humaine. L'attitude positive de la magie s'oppose à l'attitude négative du tabou.