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Citation de enkidu_


Tout ce que nous avons constaté ici de la nature du mouvement mu'tazilite donne à ces philosophes religieux le droit de prétendre au titre de rationalistes. Ce titre, nous ne le leur contesterons pas. Ils ont le mérite d'avoir, les premiers dans l'Islam, élevé la raison au rang de source de la connaissance religieuse,et même d'avoir reconnu ouvertement la valeur du doute comme premier moteur de la connaissance.

Mais pouvons-nous pour cela les nommer aussi des libéraux ? Ce titre-ci, il nous le leur faut refuser. Ils sont, avec leurs formules opposées à la conception orthodoxe, les premiers fondateurs du dogmatisme dans l'Islam. Celui qui veut être sauvé doit n'avoir foi qu'en ces formules inflexibles et non dans d'autres. Sans doute, par ces définitions, ils avaient en vue de mettre d'accord la religion et la raison; mais c'étaient des formules rigides et étroites qu'ils opposaient au traditionnalisme non défini des vieux croyants et qu'ils défendaient dans leurs discussions sans fin. Ils étaient aussi intolérants à l'extrême. La tendance à l'intolérance est inhérente au dogmatisme de par sa nature. Lorsque les Mu'tazilites eurent la chance de voir leur doctrine reconnue comme religion d’État sous le règne de trois khalifes 'abbâsides, elle fut imposée au moyen de l'inquisition, de l'emprisonnement et du terrorisme jusqu'au moment où, peu après, la réaction, redressant la tête, laissa de nouveau respirer librement ceux qui croyaient posséder dans la religion un ensemble de pieuses traditions, mais non le fruit de théories rationalistes douteuses.

Quelques propos des Mu'tazilites peuvent nous édifier sur l'esprit d'intolérance dont étaient pénétrés leurs théologiens. « Quiconque n'est pas Mu'tazilite ne doit pas être appelé croyant », ainsi s'exprime très nettement l'un de leurs maîtres. Et ceci n'est qu'une conséquence de leur doctrine générale, d'après laquelle celui qui ne cherche pas Dieu « sur le chemin de la spéculation » ne peut être nommé croyant. Le commun peuple, aux croyances naïves, ne compte donc pas parmi les musulmans. Sans opération de la raison, il n'y a pas de foi. La question du « takfïr al-'awâmm », c'est-à-dire la stigmatisation du vulgaire comme mécréant est à l'ordre du jour dans la science religieuse des Mu'tazilites. Aussi n'en manque-t-il pas pour dire qu'on ne peut faire la prière derrière un de ces naïfs croyants non ratio- nalistes. Un célèbre représentant de cette école, Mu'ammar b. 'Abbâd, déclare infidèle quiconque ne partage pas sa manière de voir sur les attributs et le libre arbitre. Un autre pieux Mu'tazilite, Abù-Mûsâ al-Murdâr, que nous pourrions citer comme un exemple des débuts piétistes de la même école, a, partant du même point de vue, déclaré que ses propres thèses menaient seules au salut, si bien qu'on put lui répondre que, d'après son opinion exclusive, lui seul, et tout au plus deux ou trois de ses disciples avec lui, pourraient entrer au paradis des croyants.

Ce fut un réel bonheur pour l'Islam que la faveur politique accordée à une telle conception se soit bornée aux règnes de trois khalifes. Où en seraient arrivés les Mu'tazilites, s'ils avaient eu plus longtemps à leur disposition le secours du pouvoir régnant ? La doctrine de Hichâm al-Fùtï, par exemple, un de ceux qui se refusaient le plus radicalement à admettre les attributs divins et la détermination de la destinée, montre comment quelques-uns d'entre eux se représentaient les choses. « Il estimait licite de tuer traîtreusement les adversaires de sa doctrine et de s'emparer de leurs biens par ruse ou par force ; ce sont des infidèles : donc leur vie et leurs biens sont hors la loi ». Ces théories ne sont, bien entendu, que des théories de cénacles ; mais elles sont poussées assez loin pour arriver à cette idée que les territoires dans lesquels la confession du mu'tazilisme ne domine pas doivent être regardés comme pays de guerre (dâr al-harb). (pp. 95-97)
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