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Citation de Nastasia-B


- Y a-t-il eu un mort dans cette maison ?
La femme sursauta, se retourna, regarda fixement l'étrange être barbu.
- Oui, dit-elle à mi-voix, ce printemps, mon fils est mort. Il travaillait comme chauffeur au kolkhoz, il a voulu traverser la rivière…
- Son nom ? interrompit rudement le pèlerin. […]
- Mon petit gars… il s'appelait Fédia… […]
- Je prierai pour lui, interrompit Jean, en écrivant sur son cahier, en gros caractères : " Théodore. " Comment t'appelles-tu ?
- Nastasia.
- Bon… Nas-ta-sia. Tu vis seule ?
- Nous sommes deux. Avec ma fille. C'est pas ma vraie fille, c'est la femme à Fédia, et alors je vis avec elle… […]
- Elle se conduit bien ? Elle croit en Dieu ?
- Non… elle ne croit pas en Dieu, elle fait partie des Jeunesses communistes, mais sans faire de péché, je dois dire que c'est une bonne fille… Elle a fini ses études à l'École professionnelle de zootechnie, elle travaille donc à la ferme et on l'a en plus chargée de s'occuper du club. On a un club, elle y va, ainsi, tous les soirs. Elle se fatigue… le jour d'un côté, le soir d'un autre… Dame ! j'y contredirai point, bien sûr, l'ennui d'être seule, elle est jeune, ils n'ont passé ensemble qu'une toute petite année… Mon petit gars, mon pauvre petit Fédia… Il est revenu de l'armée. " Ma petite maman, qu'il me disait, ma petite maman chérie… "
Le visage de Nastasia se contracta de douleur, ses lèvres sèches se mirent à trembler, des larmes roulèrent sur ses maigres joues hâlées. Le pèlerin gardait un silence sévère.
- Asseyez-vous, vous allez souper, dit Nastasia à travers ses larmes. Je m'en vais faire chauffer le samovar… […]
- Je vais prier.
Il se jeta à genoux à grand bruit, se tirailla la barbiche. Nastasia sortit doucement.
- Seigneur ! s'exclama Jean d'une voix profonde, Seigneur !
Il se tut, je ta un regard par la fenêtre sur les pommiers immobiles. Nastasia mettait la table, dans un bruit de vaisselle remuée. […]
- Seigneur ! soupira Jean.
Il se reprit à écouter le doux tintement de la vaisselle, laissa ses yeux errer par la fenêtre vers le lointain. Nastasia jeta un coup d'œil prudent à l'intérieur de la pièce et découvrit une tête ébouriffée dont les cheveux n'avaient pas été coupés depuis longtemps, un cou noir de crasse, de larges omoplates robustes, de longs pieds au bout de jambes repliées.
- Venez manger, s'il vous plaît, appela-t-elle à voix basse.
Mais le pèlerin ne bougea pas, ne répondit pas : il songeait à quelque chose, ses longs bras appuyés sur le plancher. Nastasia sortit, posa le samovar sur le perron et alla traire la vache.
Quand le pèlerin entendit, un instant plus tard, de légers pas dans l'entrée, il pensa très vite : " La fille ! ", tourna la tête, déjà aux aguets. La porte se referma bruyamment, les pas moururent au seuil de la pièce. […] Un silence. Puis les pas repartirent rapidement vers l'entrée. Jean bondit, s'approcha sans bruit de la porte et y colla l'oreille bistrée. […]
- Maman, qu'est-ce que c'est que cet homme qui est chez nous ?
- Rien… Un homme qui passait. un pèlerin à la recherche de la foi. Il a demandé à passer la nuit.
- Un pèlerin, Un vieux ?
- Il a une barbe mais, vieux, non, il doit pas l'être tant que ça… les yeux sont jeunes.
- Un aventurier, peut-être ?
- Qu'est-ce que tu dis ? Le Christ sort avec toi ! Un homme envoyé par Dieu, qui prie…
Un autre silence. Seul, le goret grogna faiblement. De nouveau reprit le bruit pressé, au rythme rapide et égal, du lait giclant sur le seau.

LE PÈLERIN, II.
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