Un jour, que Mère était allée chercher des hespes, elle s'arrêta pour écouter plus attentivement la voix puissante et rauque d'une jeune fille qui chantait le poème de Mc Crae:
"Les coquelicots fleurissent sur la terre des Flandres
Où des milliers de croix côte à côte dressées
Indiquent la place où les braves sont tombés.
L'alouette s'élève dans le ciel ombragé,
Loin de la funeste guerre et de ses méandres.
Nous combattions, il y a peu de temps encore
Nous pouvions voir le beau crépuscule du soleil.
Les projectiles nous ont atteints, nous sommes morts
Et sur cette terre des Flandres, reposent nos corps.
Poursuis notre combat, Garde-toi en éveil
Reprends le flambeau de pauvres bras fatigués
Et laisse la flamme de la liberté brûler."
Notre monde change. La voix de Cyriel se faisait sérieuse. Les gens entendent parler de nouveaux systèmes politiques et économiques. Ils n'y comprennent souvent rien, mais pensent qu'ils vivraient mieux si leurs principes étaient appliqués. Parfaite utopie parfois. En fait, ils n'acceptent plus d'être toujours dirigés, de devoir compter sur les oeuvres de charité, d'être les sacrifiés du système actuel. L'église représente d'une certaine façon un paternalisme autoritaire qu'ils refusent désormais. Elle incarne d'une certaine manière l'injustice de leur place dans ce bas monde.
Défendez votre patrimoine, transmettez-le, mais ouvrez-vous aussi aux autres pays voisins, voyez au-delà des frontières, il y a tant à apprendre des autres.
Testament de Maria Vermeulen
1989
Il y avait eu quelques mois auparavant, le soldat que l'on avait fusillé pour refus d'obéissance. La rumeur colportée prétendait que le jugement avait été arbitraire, plus que sommaire et que la faute ne justifiait sûrement pas la peine de mort. L'image du prisonnier lié à son pieu de bois, le bandeau collé aux yeux, s'était propagée dans toute la tranchée. On avait entendu ses cris, ses supplications, ses pleurs. On l'avait entendu appeler sa femme et ses petits, et puis le silence soudain avant que huit hommes blêmes ne lèvent l'arme au pied. Ensuite la salve et le coup de grâce, les soldats qui défilent devant le corps troué et sanglant qui doit faire exemple. Aurait-il protesté contre ses chefs, ne pouvait-on pas comprendre sa folie subite, citer ses années de combat sans jamais rechigner, sans jamais protester. C'était injuste. Un soldat qui a vécu dans les tranchées ne mérite pas cette mort infamante.
Il dominait les consciences, tout comme le curé et l'instituteur. Mais jamais son nom n'était cité. Et c'était en cachette que l'on recourait à ses dons. Il convenait aux Cauchois, enclins aux superstitions : "...sous le ciel normand, poursuit J. Le Povremoyne, on respecte l'homme qui passe la nuit à fixer les étoiles comme s'il contemplait Dieu, les yeux dans les yeux". Et puis le berger, n'avait-il pas des remèdes efficaces pour peu de sous?