Chanson du Pont-Marie. Deuxième version
Sous le Pont Marie
Depuis dix mille ans
La Seine charrie
La mort et la vie
Vers les océans
Mais sur le Pont
Les hommes vont
Plus lourdement
Plus lentement
Ils portent des sacs de charbon
De la rive gauche à la rive droite
Et rapportent la nuit au front
De la rive riche à la rive étroite
Sous le Pont Marie
Depuis dix mille ans
La Seine charrie
La mort et la vie
Vers les océans
Mais sur le Pont
Les hommes vont
Hâtivement
Obstinément
Ils portent des chardonnerets
De la rive gaie à la rive adulte
Et ne rapportent que regrets
De la rive fourbe à la rive occulte
Sous le Pont Marie
Depuis dix mille ans
La Seine charrie
La mort et la vie
Vers les océans
Mais sur le Pont
Les hommes vont
Allègrement
Confidemment
Ils portent des fleurs plein les bras
De la rive noire à la rive impure
Et ne rapportent qu'un cœur las
De la rive injuste à la rive obscure
Sous le Pont Marie
Depuis dix mille ans
La Seine charrie
La mort et la vie
Vers les océans
Les Portes
J’ai passé devant tant de portes
Dans le couloir des peurs perdues et des rêves séquestrés
J’ai entendu derrière les portes des arbres qu’on torturait
Et des rivières qu’on essayait de dompter
J’ai passé devant la porte dorée de la connaissance
Devant des portes qui brûlaient et qui ne s’ouvraient pas
Devant des portes lasses de s’être trop fermées
D’autres comme des miroirs où ne passaient que les anges
Mais il est une porte simple, sans verrou, ni loquet
Tout au fond du couloir tout à l’opposé du cadran
La porte qui conduit hors de toi
Personne ne la pousse jamais
Je n'aurai pas duré plus que l'écume
Aux lèvres de la vague sur le sable
Né sous aucune étoile un soir sans lune
Mon nom ne fut qu'un sanglot périssable
Dans une larme de béryl
Dans une larme de béryl
Le pur insecte
Seul connaît l’immortalité
L’ANGE
Une fois l’ange passe aussi
Tout près de toi
C’est un lundi matin pluvieux
Tu te sens plus vieux que le monde
Les souliers mal cirés
Et le cœur rouillé
Mais l’ange de ton destin passe
T’inondant de bonté
Et d’un sourire rose :
Retiens-le !
Retourne-toi !
Avant qu’il ne ressemble au vent !
Jean sans Terre aborde au dernier port
Jean sans Terre aborde au dernier port
Jean sans Terre sur un bateau sans quille
Ayant battu les mers sans horizons
Débarque un jour sans aube au port sans ville
Et frappe à quelque porte sans maison
Il connaît bien cette femme sans figure
Se décoiffant dans un miroir sans tain
Ce lit sans draps ces baisers sans murmure
Et ce facile amour sans lendemain
Il reconnaît ces trirèmes sans rames
Ces bricks sans mâts ces steamers sans vapeur
Ces rues sans bars ces fenêtres sans femmes
Ces nuits sans sommeil et ces docks sans peur
Mais il passe inconnu devant ses frères
Il ne voit point ses jeunes soeurs pâlir
L'herbe ne tremble pas dans le pré de son père
Quelle est cette idée sans souvenir ?
Dans le jardin sans arbre aucune grille
Ne l'empêche de cueillir le jet d'eau
Qu'il va offrir à cette triste fille
Qui se pendit pour l'avoir aimé trop
Quel est ce boulevard sans dieux à vendre ?
Ce crépuscule sans accouplements ?
Ce réverbère étouffé par ses cendres ?
Cette horloge laissant pourrir le temps ?
Alors pourquoi ces jonques ces tartanes
Chargées de fûts sans vins de Christs sans croix
Des sacs sans riz de danses sans gitanes
De citrons sans vertu d'aciers sans poids ?
Pourquoi ces quais sont-ils sans un navire ?
Ces bois sans étincelle ces stocks
Sans douane et ces bars sans délire ?
Seule la mer travaille dans les docks !
Quel est ce port où nul bateau n'aborde ?
Quel est ce sombre cap sans continent ?
Quel est ce phare sans miséricorde ?
Quel est ce passager sans châtiments ?
Un petit soupir
Un petit soupir
A frôlé ma tempe
Un soupir jeune encore
Venu de loin
Malgré la colère du vent
Malgré le fracas des ferrailles
Perçant l’épaisseur de la terre
Bravant l’inimitable silence de la mort
Il est venu vers moi
Le dernier soupir
D’une rose